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mettent eux-mêmes en grève si l’exclusion qu’ils ont prononcée n’est pas respectée. Or, pour ne parler que des dockers, le contrat de 1903 leur interdit ces mises à l’index, puisqu’il établit en principe que le travail ne sera jamais suspendu, et que, pour tout litige, on en référera à l’arbitrage. Il désigne déjà l’arbitre : c’est ce même M. Magnan, à l’intervention duquel patrons et ouvriers viennent effectivement de recourir. On voit donc que tout a été prévu, et que les ouvriers ont une voie ouverte pour se faire rendre justice. En ont-ils jamais usé depuis l’année dernière ? Non, pas une seule fois, à notre connaissance. Le contrat a été comme s’il n’existait pas. Les dockers ont multiplié les mises à l’index, et, toutes les fois qu’ils ont éprouvé un mécontentement quelconque, ils ont cessé le travail d’une manière plus ou moins étendue. Quant à leurs griefs, fondés ou non, ils ont été presque quotidiens.

Peut-être les ouvriers ne se douteraient-ils pas qu’ils en ont en si grand nombre, s’ils étaient livrés à eux-mêmes ; mais les syndicats ont imaginé une sorte de magistrature dans la personne des délégués aux chantiers, chargés en principe de surveiller tout ce qui s’y passe, et qui n’ont pas tardé à émettre la prétention d’y tout diriger. Les patrons se sont plaints de la manière dont les délégués comprenaient leur rôle et le remplissaient ; ils ont demandé formellement leur suppression ; c’est une des conditions qu’ils ont mises, dès le premier jour, à la reprise du travail. Avons-nous besoin de dire que, agens des syndicats, les délégués exercent leur tyrannie sur les ouvriers aussi bien que sur les patrons ? Ils se mêlent en particulier de la manière dont se font les embauchages : dès lors, la liberté des embauchages n’existe plus, et c’est encore une des principales revendications du patronat. A moins de stipulation contraire, il est de droit strict que les patrons embauchent qui ils veulent, et procèdent soit individuellement, soit collectivement. Nous disons « à moins de stipulation contraire, » parce que cette stipulation existe dans un contrat qui porte le nom de Contrat Bessard : M. Bessard est le principal entrepreneur de charbonnage de Marseille. Un des articles de cet arrangement porte que, « dans la mesure du possible, la priorité sera accordée aux ouvriers français dans toutes les manipulations des quais et pour les appels aux syndiqués. » Mais cette préférence attribuée soit aux syndiqués, soit aux ouvriers français, ne peut dériver que d’une convention particulière, en dehors de laquelle la Liberté du patron reste absolue. Ce n’est pas ainsi que l’entendent les ouvriers. Leur prétention est de substituer les embauchages collectifs aux embauchages individuels, et de les faire faire par