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Cette conformation, qui est celle des nains de Velasquez, était, à n’en pas douter, celle de la plupart des « fous » dont les princes et les riches seigneurs se montrèrent si fortement engoués, pendant le moyen âge, et qu’ils considéraient comme l’ornement obligatoire de leurs cours. Le Triboulet de François Ier, le Corneille de Lithuanie qui était le fou de Charles-Quint, les nains de Catherine de Médicis, ceux enfin qui se perpétuèrent encore pendant quelque temps dans les cours d’Allemagne et de Russie, après que Louis XIV les eut supprimés à la cour de France, n’avaient pas une autre figure. Lorsque la princesse Nathalie, sœur de Pierre Ier, eut la fantaisie de réunir à Moscou tous les nains et toutes les naines de l’Empire, on lui en amena soixante. Elle en fit une procession, en les plaçant par quatre dans des carrosses dorés, appropriés à leur taille et traînés par des chevaux nains ; mais, — et c’est là ce qui nous intéresse, — le chroniqueur qui fait ce récit mentionne expressément qu’ils étaient presque tous difformes. La mode des fous et des nains s’était introduite, — venue sans doute des cours barbares, — dans celle des Empereurs. Le nain d’Auguste, ceux de sa fille Julie, étaient peut-être des nains infantiles bien faits ; mais ceux que Domitien faisait combattre dans le cirque étaient certainement des contrefaits appartenant au type achondroplasique qui est, décidément, le type le plus général.


VI

Le mécanisme et la genèse de cette difformité sont restés ignorés du public médical jusqu’à la publication, faite par Troisier, des œuvres posthumes de J. Parrot en 1882. Jusqu’à cette époque toutes les déformations de cet ordre étaient attribuées au rachitisme. Sans doute, quelques observateurs perspicaces, Müller, Virchow, Depaul et surtout Winkler avaient été frappés déjà des différences qui séparaient ces deux états. Le squelette des membres offrait des caractères particuliers chez les nains dont nous parlons : l’extrême brièveté des os, leur épaisseur, leur dureté, leur habituelle rectitude sont des traits exactement contraires à ceux du rachitisme. Mais c’est J. Parrot qui mit cette incompatibilité en pleine évidence ; ce fut lui qui proclama qu’il s’agissait ici d’une maladie tout à fait spéciale des cartilages et que cette maladie atteignait, d’une façon élective et préférentielle, les membres d’abord, le crâne ensuite.

La production de cette difformité, — et c’est là ce qui en fait l’intérêt théorique, — est une conséquence remarquable des lois qui président à