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ou les mêmes lois, par les mêmes actes inconsciemment répliqués les uns des autres, jusque dans leur forme, elle a voulu s’imposer et n’a jamais triomphé : action au nom de la religion ou contre la religion, domination par l’enseignement public, tels ont été, à des époques bien différentes et sous l’empire de passions singulièrement opposées, ses instrumens toujours identiques à eux-mêmes. C’est effectivement une tendance très naturelle de l’orgueil humain que de prétendre exercer par cette entremise la double royauté des âmes et des esprits, et l’erreur où il se laisse ainsi entraîner l’aveugle lui-même sur la valeur des prescriptions ou des inhibitions légales pour asseoir son gouvernement sur des fondemens durables : or, ni la foi religieuse, ni l’adhésion à une croyance philosophique, ni le loyalisme gouvernemental, ne s’imposent par des décrets ; le libre consentement des cœurs est indispensable à leur établissement et à leur entier développement. Il pouvait sembler que les événemens eussent donné à cette politique des démentis suffi sans et qu’elle fût définitivement jugée. L’expérience n’aurait-elle donc pas été concluante, puisqu’on en tente aujourd’hui un nouvel essai ?

Au nom de quelle idée ? Par une contradiction singulière, dans un pays de self government qui, depuis cent ans, a fait tant de révolutions en acclamant la liberté, nous voyons, par un retour inconscient à la théorie jacobine, les principes de la doctrine étatiste quotidiennement invoqués dans les Chambres pour légitimer les entreprises gouvernementales. Tant à l’occasion du débat sur les congrégations, qu’à celle du vote de la loi sur l’enseignement secondaire, les orateurs en vue de la majorité radicale-socialiste ont repris cette doctrine et nous l’ont clairement exprimée : l’Etat exerce par l’enfant sur le citoyen un droit souverain, puisque lui seul peut, en principe, l’instruire, déterminer les conditions de son éducation, c’est-à-dire, au sens étymologique du mot, de sa direction, et puisque lui seul, en conséquence, peut concéder quelques parcelles de cet attribut de sa souveraineté à telles catégories de citoyens qu’il définit, au détriment des autres, par voie d’exclusion. La question de la liberté d’enseignement est ainsi tranchée d’un trait de plume ; la solution est simple : il n’existe ni droit ni liberté du citoyen, ni droit ni liberté du père, ni droit ni liberté de l’enfant ; tout repose sur une concession de l’Etat et sur une délégation qui ne saurait être que laïque et entourée de garanties civiques.