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prétend s’imposer, à son tour, au nom de la doctrine de « l’unité » dont il donne une formule précise ; Robespierre le dit sans détour : « Qui n’est pas avec nous, doit être frappé ou écarté ou paralysé, non comme factieux, mais comme pervers. » Ainsi le Montagnard ne suit pas les voies battues ; il définit le dogme dont il est le grand prêtre : il ne s’agit plus de réduction à un type connu, ce qu’il faut, c’est la marche à l’unité par une « régénération globale, » par une « création nouvelle. » « Je me suis convaincu, ajoute-t-il, de la nécessité d’opérer une entière régénération et, si je peux m’exprimer ainsi, de créer un nouveau peuple. » Paralysie des pervers et création d’un nouveau peuple au nom de la République une et indivisible, telle est bien, dans sa forme jacobine la conception de la politique de l’unité morale.

Tandis que le Comité de Salut Public et le Tribunal révolutionnaire reçoivent pleins pouvoirs pour assurer l’exécution de la première partie du programme ainsi posé, c’est au Comité de l’Instruction publique qu’échoit la mission de définir les articles de la seconde. Les élémens d’un peuple nouveau sont fournis par l’enfance ; et l’éducation de l’enfance seule permet de s’acheminer vers la régénération désirée, puisque, dit Cambon, « il ne peut y avoir d’unité, sans unité dans l’instruction. » C’est là un des efforts curieux tentés par les Conventionnels pour ajouter au caractère presque exclusivement social de la Révolution, un caractère moral qui lui avait jusqu’alors fait généralement défaut, et pour agir sur la société, qu’ils ont définie et organisée, par l’individu qu’ils entendent former à leur gré. La Constituante et la Législative, emportées dans un élan irréfléchi, avaient ruiné l’Instruction publique en supprimant, au nom d’un principe, ceux qui l’avaient jusqu’alors assurée dans son ensemble ; en vain elles s’étaient efforcées de reprendre l’œuvre à sa base, de l’édifier sur un plan nouveau, en vain Talleyrand et Condorcet avaient consacré à l’organisation de l’éducation nationale les plus illustres travaux : applaudis, imprimés, commentés, leurs projets n’avaient pas été discutés, et aucune loi n’en était issue. Lorsque la Montagne triomphe, l’heure est passée de puiser des enseignemens dans des œuvres où la liberté s’affirmait : le Jacobin n’admet qu’un être identique à ce qu’il est lui-même ; pour le « créer, » il faut « inventer et non se souvenir ; » le devoir qu’il s’impose est « de faire adopter à la nation une physionomie qui lui soit propre et particulière, » physionomie dont il ne reconnaît