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La part prise par la marine marchande russe au mouvement maritime de son pays est donc insignifiante et démesurément inférieure à celle qu’y prennent les diverses marines marchandes étrangères. Il y a disproportion entre les facultés de transport de la flotte commerciale russe, et les facultés de production et de consommation de la Russie. Ce pays est encore, pour ses communications maritimes avec les autres puissances, sous la dépendance des étrangers : des Norvégiens et des Anglais pour le commerce de la Mer-Blanche ; des Anglais, des Allemands, des Danois et des Suédois, pour celui de la Baltique ; des Anglais, des Italiens, des Autrichiens et des Grecs pour celui de la Mer-Noire ; enfin des Anglais et des Japonais pour celui du Pacifique. Il est pénible de constater que nulle part le pavillon français ne prend de part, nous ne dirons pas prépondérante, mais seulement importante au mouvement maritime des ports russes.

L’insuffisance de leur marine marchande n’échappe pas aux Russes. En appréciant une loi destinée à la développer, l’officieux Journal de Saint-Pétersbourg portait sur elle le jugement suivant : « Il y a des années que l’on parle du besoin urgent de créer une marine marchande nationale, car celle que nous avons, — sauf, bien entendu, les paquebots des Sociétés subventionnée par l’Etat, — n’aurait de rigueur pas droit à ce titre. Le peu de navires appartenant à des armateurs privés que nous possédons sont construits à l’étranger et, le plus souvent, commandés par des ressortissans étrangers. » Que la marine marchande russe soit en retard sur celles de presque tous les États d’Europe, il n’y a pas là de quoi surprendre un observateur tant soit peu sagace. Pour apprécier sainement ses progrès, il faut en effet tenir compte des conditions tout à fait spéciales qui résultent, pour elle, de la nature et de l’histoire. En jetant un regard sur la carte, on constate bien que, sur les 69 248 kilomètres qui constituent les frontières de la Russie, 49 370 sont formés par le littoral de la mer. Mais une notable portion de ces côtes est baignée par l’océan Glacial, figé dans les glaces éternelles, et la partie qui forme le bassin de la Mer-Blanche n’est ouverte à la navigation que pendant les mois d’été. Les golfes de Riga, de Finlande et de Bothnie gèlent en hiver et, dans son ensemble, la frontière maritime de la Baltique mesurant 7650 kilomètres, est d’un accès impossible ou difficile pendant une moitié de l’année. La Mer Noire elle-même n’est pas à l’abri des glaces,