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Mademoiselle, l’habitude mettait un abîme ; mais les « députés de la noblesse de France » n’avaient pas manqué de faire valoir au Roi que les grands de son royaume et les officiers de sa couronne valaient bien les princes étrangers, et en particulier « les Lorrains, » malgré les prétentions de ces derniers. Cela dit, voici l’essentiel de la longue dépêche adressée à tous nos ambassadeurs.

Elle débutait en ces termes : « Comme ce qui s’est passé depuis cinq ou six jours sur un dessein que ma cousine avait formé d’épouser le comte de Lauzun, l’un des capitaines des gardes de mon corps, fera sans doute grand éclat partout, et que la conduite que j’y ai tenue pourrait être malignement interprétée et blâmée par ceux qui n’en seraient pas bien informés, j’ai cru en devoir instruire tous mes ministres qui me servent au dehors. » Le Roi exposait ensuite par le menu les incidens de l’affaire, et c’est exactement le récit de Mademoiselle, sauf que Louis XIV se dépeint très opposé dès le début à ce mariage, et n’ayant cédé que de guerre lasse, à force d’être harcelé par sa cousine et les députés de la noblesse : « Elle continua…, par de nouveaux billets, et par toutes les autres voies qui lui purent tomber dans l’esprit, à me presser vivement de donner ce consentement qu’elle me demandait, comme la seule chose qui pouvait, disait-elle, faire tout le bonheur et le repos de sa vie. » D’autre part, les députés lui représentèrent « que si, après avoir consenti au mariage de ma cousine de Guise, non seulement sans y faire la moindre difficulté, mais avec plaisir, je résistais à celui-ci, que sa sœur souhaitait si ardemment, je ferais connaître évidemment au monde que je mettais une très grande différence entre des Cadets issus de maisons souveraines et les officiers de ma couronne, ce que l’Espagne ne faisait point, et au contraire, préférait ses Grands à tous les Princes étrangers, et qu’il était impossible que cette différence ne mortifiât extraordinairement toute la noblesse de mon royaume… Pour conclusion, les instances de ces quatre personnes furent si pressantes, ou leurs raisons si persuasives, sur le principe de ne pas désobliger sensiblement toute la noblesse française, que je me rendis à la fin à donner un consentement au moins tacite à ce mariage, haussant les épaules d’étonnement sur l’emportement de ma cousine, et disant seulement qu’elle avait quarante-trois ans et qu’elle pouvait faire ce qui lui plairait. »