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Sur ces entrefaites, la duchesse de Longueville[1]voulut établir le comte de Saint-Paul, celui de ses fils qui ressemblait « infiniment » à La Rochefoucauld. Malgré l’énorme différence d’âge — son fils n’avait que vingt ans — elle songea à Mademoiselle, qui était toujours le plus grand parti du royaume, et lui fit porter des ouvertures qui furent éludées, mais avec une douceur dont le monde s’étonna. Mademoiselle avait ses raisons : « Pour moi qui avais mon dessein dans la tête, je n’étais pas fâchée que le bruit courût que l’on parlait de me marier à M. de Longueville[2] ; il me semblait que c’était, en quelque façon, accoutumer les gens à ce que je voulais faire. » Pour une fois que Mademoiselle se mêlait de faire de la diplomatie, son calcul se trouva juste. A quelques jours de là, comme l’on causait de cette affaire devant Lauzun, l’un de ses amis, auquel n’avait pas échappé que Mademoiselle l’écoutait avec plaisir, lui demanda pourquoi il ne tenterait pas la fortune[3]. D’autres seigneurs se joignirent au premier, et tous ensemble lui assurèrent que rien n’était impossible à un homme aussi avant dans les bonnes grâces du Roi. Lauzun se défendit avec chaleur de penser seulement à épouser Mademoiselle ; mais, rentré au logis, il rumina toute la nuit cette conversation, et commença dès lors à ne plus trouver l’idée aussi chimérique. Il fallut remettre à plus tard à s’en assurer ; le Roi emmenait la cour en Flandre, et il avait donné le commandement de l’escorte à son favori[4].

C’était un voyage politique. L’Espagne venait d’être ‘vaincue presque sans résistance dans la guerre de Dévolution (1667-1668). Louis XIV jugeait utile de montrer la royauté française dans toute sa pompe aux populations devenues nôtres par le traité d’Aix-la-Chapelle (2 mai 1668), et chacun se préparait à faire bonne figure dans un spectacle dont l’étrangeté n’a plus d’analogue dans notre vie moderne. En 1658, Loret, le gazetier, avait

  1. La sœur du Grand Condé. Sur son rôle pendant la Fronde, voir la Jeunesse de la Grande Mademoiselle, p. 284 et suivantes.
  2. M. de Saint-Paul commença vers ce même temps à porter le nom de Longueville.
  3. Cette conversation, qui donne la clef de la conduite de Lauzun, est rapportée dans Le Perroquet, ou les Amours de Mademoiselle, récit anonyme imprimé par M. Livet à la suite de l’Histoire amoureuse des Gaules (Paris, Jannet. 1857) ; et dans l’Histoire de Mademoiselle et du comte de Losun (Bibl. Sainte-Geneviève, Ms. 3208). Ce ne sont pas toujours des sources sûres ; mais je crois que l’on peut s’y fier ici.
  4. Mémoires de l’abbé de Choisy.