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De la cour
La vertu la plus pure
Est en Péguilin…


A cet endroit, le Roi interrompit : — « Si on a voulu le fâcher, dit-il, je trouve que l’on a tort, et que quand les gens agissent comme lui, ils ne se doivent inquiéter de rien ; mais pour les autres, on les traite fort mal. » Le brusque mécontentement du Roi au nom de Péguilin fit un silence général, et la chanson en resta là.

La Grande Mademoiselle assistait à cette scène. Elle eut la surprise de ne pas s’y sentir indifférente. A peine, cependant, connaissait-elle Lauzun, qui n’était pas de sa coterie. — « Je pris plaisir, disent ses Mémoires, à voir la manière dont le Roi parlait de lui ; j’avais quelque instinct de ce qui devait arriver. » Ce fut le premier avertissement de la passion qui s’était déjà insinuée dans le fond de son cœur ; mais elle ne le comprit pas.

Il lui vint pourtant l’idée de causer, à l’occasion, avec M. de Lauzun. Elle y prit goût tout de suite. Il a, disait-elle, « des manières de s’expliquer tout extraordinaires. » Mademoiselle aimait cela, et, comme elle croyait encore n’aimer que cela dans ce petit cadet de Gascogne, elle fut la première à se demander pourquoi, s’étant si bien trouvée depuis cinq ans de peu fréquenter la cour, elle reprenait l’habitude de n’en plus bouger. L’année se termina, sans qu’elle eût trouvé la réponse : « J’allai donc… au mois de décembre (le 6) à Saint-Germain, d’où je ne partis point. Je m’y accoutumai fort. Je n’y étais d’ordinaire que trois ou quatre jours. On s’étonnait du long séjour que j’y faisais. » Le 31, elle se décida enfin à retourner à Paris : « Je m’y ennuyais fort, et je ne pouvais dire ce que je faisais à Saint-Germain qui me divertit plus qu’à l’ordinaire. » Elle se hâta de rejoindre la cour, sans savoir pourquoi, reprit ses entretiens avec Lauzun, et ne comprit toujours pas.

Elle savait seulement qu’elle était troublée et agitée, mécontente de sa condition, et qu’elle avait envie de se marier. Ce désir datait de loin, mais il avait pris, dans les derniers temps, une importunité qui obligea Mademoiselle à s’examiner sérieusement. La page où elle raconte sa découverte est charmante de naturel, et comme on la sent vraie ! « Je raisonnais en moi-même (car je n’en parlai à personne) et je me disais : « Ce n’est point une pensée vague ; il faut qu’elle ait quelque objet ; »