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entre diverses consciences, engendrer une rivalité pour le bien, — heureuse rivalité sans doute, qui enveloppe cependant un dernier germe de compétition morale.



II


Pour les darwinistes exclusifs, il est aussi vain de se livrer à des regrets sur cette concurrence universelle, qui est la « loi de nature, » que de spéculer sur les conséquences morales ou immorales de la gravitation universelle : les deux ordres de lois sont également inévitables, et il faut les prendre « comme elles sont. »

— Mais d’abord, répondrons-nous, il n’est nullement inutile de spéculer, sinon sur la morale de la gravitation, du moins sur la mécanique de la gravitation : témoin les ballons, la navigation, etc. Si nous ne pouvons suspendre la pesanteur, nous pouvons la tourner à notre profit, et nous en servir même pour nous éloigner du centre de la terre. La compétition universelle est impossible à supprimer, soit ; il ne serait même pas désirable de supprimer entièrement cette condition du développement des individualités et de leur hiérarchie ; là est l’erreur de certains socialistes. Mais la compétition peut être supprimée partiellement, restreinte en ses effets funestes, non pas seulement tournée comme la pesanteur, mais vraiment contre-balancée et dominée. Pour la gravitation, le point d’application est en dehors de nous ; pour la compétition, il est dans nos sentimens et dans nos volontés. La différence est capitale : nous pouvons réagir sur nos propres impulsions, et l’idée même que nous avons de notre pouvoir est un pouvoir : c’est une idée-force. La question vraiment « scientifique, » que ni les économistes ni les socialistes n’ont su résoudre, est donc de savoir : 1° avec quelles différences et modifications la loi de lutte et de sélection naturelle agit dans la société humaine, et comment elle y est contre-balancée ou complétée par d’autres lois ; 2° quelles conséquences pratiques suivent, et de sa persistance et de sa modification dans l’ordre social. S’il est contraire à la science de ne pas tenir compte des ressemblances entre l’humanité et l’animalité, n’est-il pas tout aussi contraire à la science de ne pas tenir compte des différences ? Plus de calcul exact, si on ne calcule pas toutes les valeurs positives ou négatives. Négliger sans cesse le mutatis mutandis, c’est oublier les règles de la vraie méthode scienti-