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poursuit sa course, s’empare du religieux, le ramène à la Préfecture. Les huées de l’escorte et de la populace étaient moins outrageantes au vieux prêtre que les accusations ineptes et précises où le Conseil départemental s’obstine, où Naquet surtout se montre le plus crédule des incroyans. Comme l’interrogatoire n’a fourni contre l’accusé ni preuves, ni vraisemblances, on l’emprisonne, sous prétexte de le soustraire à la colère publique.

Mais la journée est surtout occupée aux poursuites contre la police. La haine religieuse est une haine bourgeoise ; la vengeance contre les agens qui dispersent les émeutes, s’emparent des perturbateurs, arrêtent les accusés de délits et de crimes, est une revanche populaire, quand la force est à ces irréguliers de la politique ou de la morale. Commissaires et agens ont fui et se cachent. Partout leurs victimes d’hier les cherchent, plus de trente sont découverts, l’un a la cuisse traversée d’un coup de feu, un autre le visage labouré à coups de pied ; les moins maltraités sont conduits à la Préfecture, où leur chef, le commissaire central Batardon, a été le premier après l’invasion, et tout sanglant, fait prisonnier. Tous passent devant le Comité, qui n’a ni l’envie, ni le pouvoir de les délivrer, et les envoie rejoindre leur chef. Plusieurs d’entre eux seront laissés quarante heures sans nourriture, et Batardon sera trouvé pendu dans son cachot, sans que rien permette de conclure si cette mort est un suicide ou un assassinat. Plusieurs étaient porteurs des économies et des bijoux avec lesquels ils tentaient de s’enfuir. On les leur avait enlevés au moment de leur arrestation. Rien n’en fut retrouvé[1].

Durant cette journée, les délibérations à prendre, les proclamations à rédiger, les amis à recevoir, les suspects à interroger, n’avaient laissé à Labadié et au Comité départemental aucun

  1. Thourel, qui, après le 4 septembre, devint Procureur général à Aix, déposa en ces termes sur ce fait : « Les commissaires de police, sachant bien qu’ils n’avaient rien de bon à attendre, se proposaient de fuir, et ils réunissaient au plus tôt leur petit pécule, ce qu’ils pouvaient avoir de précieux. On les trouvait nantis de ces objets ; on les arrêtait en saisissant leurs valeurs, bijoux, sous prétexte que c’étaient des pièces à conviction ; c’était un vol pur et simple. Il en fut déposé pour environ 4 000 à 5 000 francs à la Préfecture. J’avais été nommé Procureur général. J’envoyai à mes substituts l’ordre de régulariser la situation, et de faire remettre en liberté les personnes indûment arrêtées, de recueillir les pièces à conviction au greffe du tribunal et de les rendre à leurs propriétaires. Tout avait été volé et il n’en était rien resté à la Préfecture. Quand je demandai à M. Esquiros ce qu’étaient devenus ces objets, il me répondit : « C’est affligeant, mais tout a disparu. » (Id., p. 148.)