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pour les conduire. Afin de gouverner à la fois l’Assemblée et l’émeute, il se partageait même entre elles, et, tandis qu’une partie de ses membres s’asseyait au Conseil, Delpech, Naquet, Klingler menaient l’assaut de la Préfecture.

Là les envahisseurs étaient proches, quand les délégués du Conseil furent introduits auprès du Préfet. Levert résistait, réclamait une heure pour avertir le gouvernement et, par point d’honneur, laissait passer les délais qui lui eussent permis de transmettre ses pouvoirs, et auraient permis à Labadié d’arrêter la foule à la porte d’un préfet républicain[1]. Cette foule rompt l’entretien trop long, en enfonçant les portes de la Préfecture. La police, qui les défend seule, a perdu son énergie depuis la chute de l’Empire, et se sait perdue comme lui ; elle s’est laissé emporter par le torrent qui se précipite dans l’édifice et déjà atteint la pièce où Levert donne enfin une démission inutile. Les premiers, Gustave Naquet, Klingler, Delpech, l’entourent pour le protéger : ils ne veulent pas que leur victoire glisse sur du sang, et tandis que les cris de triomphe sonnent « la vue » et que les mains s’étendent vers la proie, Levert est entraîné par eux vers une porte qu’ils ferment sur lui. Devant cette porte Labadié, debout sur un fauteuil, arrête la poursuite par un discours : ces frêles remparts la retardent juste assez de temps pour que Levert ait un instant de répit. Mais, dans cette meute, les chiens de tête ne se laissent pas mettre longtemps en défaut par des paroles, ils reprennent leur course, fouillant tout l’édifice. Levert, réfugié chez l’archiviste, les entend passer et repasser, mais échappe à leurs perquisitions. D’ailleurs, si c’est lui que les meneurs réclament à grands cris, ce n’est pas lui qu’ils cherchent maintenant, et les combles sont moins visités que les caves. Là, tandis que la tourbe des comparses s’attaque aux bouteilles et aux tonneaux, une troupe d’envahisseurs, qui garde son sang-froid et semble informée d’avance de ce qu’elle doit trouver, va droit aux sous-sols, où sont rangées 420 carabines Minié. Déposées là par un bataillon de chasseurs en échange de fusils Chassepot, elles sont en parfait état, avec des cartouches. Aussitôt

  1. M. Guibert, un des deux négociateurs envoyés à M. Levert, indique en ces termes que les révolutionnaires ne voulaient pas cette transmission régulière du pouvoir : « Nous vîmes sur la place de la Préfecture une foule de plus de cinq mille personnes qui, ayant deviné sans doute le but de notre mission, se ruaient avec fureur contre la porte extérieure du palais, que nous avions fait refermer sur nous. » (Annales, t. XXV, p. 246.)