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dans les mêlées. Sans doute, eux-mêmes, ces hommes de main ne se souciaient pas des risques, et venaient de le prouver. Mais l’avènement de la République, obtenu sans combat à Marseille par la victoire de Paris, désarmait les soldats et la police de l’Empire, et avec eux disparaissaient les seuls adversaires à redouter. La légalité républicaine n’avait pour la défendre que le Conseil municipal ; le Conseil, que ses électeurs. Malgré leur nombre, si un conflit éclatait entre eux et les quelques milliers de révolutionnaires, ceux-ci avaient toute chance de l’emporter, et l’occasion s’offrait à souhait. Il suffirait de prévenir le lendemain, par un envahissement de la Préfecture et du Quartier général, la transmission régulière de l’autorité exercée par Levert et d’Aurelle aux successeurs choisis par le nouveau gouvernement. Chasser les deux principaux représentans de l’Empire paraîtrait un acte de justice et de défense républicaine, auquel la population ne mettrait pas obstacle et qui donnerait à ses auteurs une auréole de civisme. Cette popularité rendrait plus facile de se mesurer contre le Conseil municipal, et la lutte offrirait l’occasion de le supplanter à son tour. Qu’un coup de surprise et de violence, accompli par une minorité, livrât Marseille à quelques hommes, tel était l’espoir de ces meneurs. Mais plus ils avaient conscience de leur petit nombre, plus il était essentiel qu’ils fussent unis. C’est pourquoi les trois comités résolurent de discipliner leur action, chacun délégua trois membres et ces neuf membres se déclarèrent « Comité de salut public » et employèrent la nuit à préparer le lendemain[1].

Des neuf hommes qui prétendaient à la dictature sur la seconde ville de France, deux, Baume et Rouvier, avaient une intelligence capable de justifier une grande ambition : encore ces facultés n’avaient-elles pas fait leurs preuves. Baume, le moins étranger aux idées générales, était un malade ; Rouvier, un jeune commis qui jouait, sur la rouge de la politique, ses chances d’avenir commercial. Après ceux-là, le mieux doué, le seul qui comptât, était Gustave Naquet : journaliste, il avait l’instinct des idées et des phrases qui retentissent, mais toute sa supériorité était de rhétorique, et cette rhétorique était vide. Delpech ne doutait de rien, parce qu’il ne se doutait de rien, et, au jugement de Gambetta, était « un incapable. » Il était un

  1. Au témoignage de M. Thourel « le Comité était à la tête de douze ou quinze mille bandits, la plupart affiliés à l’Internationale. » (Annales, t. XXIV, p. 147.