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sur des lèvres innombrables, et sentait flotter en son âme légère, tandis qu’il les invoquait, les pitiés ou les indignations faites pour lui assurer les applaudissemens. Le 8 août, quand la foule se réunit, il était là ; quand elle chercha un chef, il apparut ; quand elle pénétra dans l’Hôtel de Ville, il y fut porté par les épaules de ceux qu’il semblait conduire ; quand elle réclama une Commune, il devint la tête passive de ce pouvoir insurrectionnel, et put, un instant, se croire le héros d’une révolution. Ce n’était qu’une surprise. A la nouvelle, le général qui commandait à Marseille envoya des troupes. Elles avaient encore assez le respect des ordres, et la foule avait encore assez la crainte de l’armée, pour qu’il n’y eût pas même de choc. Les manifestans se laissèrent refouler, et, dans l’Hôtel de Ville investi par les soldats, les envahisseurs se trouvèrent prisonniers. On en retint treize, dont Gaston Crémieux fut le premier, et, comme la ville était en état de siège, ils passèrent devant un conseil de guerre qui les condamna à la prison.

Cette tentative anarchique outrait les sentimens de Marseille, et, comme elle ne précédait que de trois jours les élections municipales, elle risquait de les rendre, par contre-coup, plus conservatrices. Le groupe de l’Égalité comprit que c’était aux révolutionnaires à compenser leur témérité par un acte de prudence. Il agit auprès des deux groupes plus in transieans, afin qu’au lieu de candidatures inconnues ou suspectes à la masse électorale, ils soutinssent de leurs suffrages les républicains agréés par l’opinion, et, auprès de ces républicains, il argua de cet effort pour obtenir qu’ils acceptassent sur leur liste quelques noms de démocrates plus voisins de lui. Ainsi avait été nommé le Conseil où les élus étaient plus avancés que les électeurs, mais où pourtant les trois groupes révolutionnaires n’avaient pu introduire aucun de leurs chefs.


III

Ce Conseil n’avait pas été installé. Le préfet Levert était de ces administrateurs qui souhaitaient, au lieu d’un empire parlementaire et bourgeois, un empire autoritaire au profit de la démocratie. Il acceptait donc avec philosophie les défaites conservatrices à Marseille. Pourtant le Conseil municipal le gênait par son allure si publiquement républicaine, et il avait attendu