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fidèles du Peuple et son rédacteur Gustave Naquet, aimaient mieux étonner que convaincre, faire des démonstrations que des conquêtes, fiers de s’isoler dans le scandale de leurs audaces, et ombrageux à se réserver, comme seuls purs, le pouvoir qu’ils espéraient seulement de l’émeute. D’autres, non moins destructeurs par les désirs, pensaient que l’intransigeance fait le succès des paroles, mais l’habileté le succès des actes, et ils cherchaient les contacts avec toutes les variétés des opinions républicaines, pour nouer les ententes utiles aux luttes communes, et, en faisant excuser la rigueur de leurs revendications par la souplesse de leurs alliances, étendre leur crédit : car, s’ils comptaient en révolutionnaires sur l’émeute, ils ignoraient quand l’émeute s’offrirait aux révolutionnaires, et, en l’attendant, avaient hâte de progresser, même par les voies légales. Ces manœuvriers inspiraient l’Égalité où un teneur de livres, Delpech, faisait le plus de bruit et un jeune commis de commerce, Rouvier, le plus de besogne. D’autres enfin, tenant pour l’œuvre essentielle le recrutement et la discipline de la troupe, qui devait porter à l’heure révolutionnaire le coup décisif, travaillaient à créer cette force par l’Internationale. Ici les plus ardens étaient Bastelica et surtout Georges Baume. A peine homme, déjà consumé de phtisie, mais d’autant plus impatient de faire beaucoup en peu de jours, comme s’il les savait comptés pour lui, il excitait à la fièvre de son corps la fièvre de sa pensée, portait en sa tête la maladie de grandes nouveautés, et par le fanatisme de sa volonté, par la violence contagieuse de sa parole, était de la race des destructeurs.

L’influence de ces nouveaux venus était très faible encore en 1869, à la veille des élections générales. Mais quand, pour succéder à Berryer trop vieux et à Marie trop tiède, Esquiros et Gambetta sollicitèrent les suffrages de Marseille, ce fut pour les jeunes révolutionnaires l’occasion de s’attacher si bien à la fortune de ces hommes, que les candidats parurent leur appartenir. En faveur d’Esquiros, ils menèrent contre Marie une telle campagne, que celui-ci ne put plus paraître dans les réunions publiques où sa vie semblait en péril ; s’ils n’eurent pas à servir par les mêmes intimidations Gambetta, ils furent eux-mêmes comme accrédités par son prestige. Les réserves rassurantes que cet habile doseur de philtres oratoires mêlait à ses menaces les plus emportées, permirent à Marseille modérée de voter pour lui ; son succès entraîna par surcroit celui d’Esquiros, et le premier