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lérable de la part de tous autres : elle l’est encore bien plus de la part des inscrits maritimes, qui sont des privilégiés de la loi. La loi leur impose, à la vérité, des charges assez lourdes, ou du moins qui l’étaient autrefois ; mais elle leur attribue, en retour, de précieux avantages, soit au point de vue de leur retraite qu’elle majore considérablement au moyen du budget, soit au point de vue de l’exercice de leur profession qui est un monopole. On ne pense pourtant pas que toutes ces faveurs leur aient été accordées pour rien. Ils sont considérés comme remplissant un service public, et dès lors obligatoire pour eux, à tel point que la loi, lorsqu’ils abandonnent leur navire, les considère et les punit comme des déserteurs. Quelle loi ? ont demandé les radicaux et les socialistes. Un décret de 1852, marqué au sceau de cette abominable période de dictature ! Quand bien même cela serait vrai, un décret, qui n’a pas été abrogé, doit être respecté jusqu’à ce qu’il le soit. Mais il y a mieux : celui dont il s’agit a été confirmé par une loi de 1898, dont on ne peut accuser ni l’origine, ni la vétusté, puisqu’elle est l’œuvre de Chambres républicaines, et qu’elle date de six ans. Cette loi, si elle avait été appliquée, aurait été vraiment une de ces garanties que les armateurs cherchent aujourd’hui ; mais il aurait fallu pour cela un autre ministre de la Marine que M. Pelletan, et un autre président du Conseil que M. Combes. Non seulement M. Pelletan n’a pas appliqué la loi, mais il a déclaré, dans des conversations avec des journalistes, qu’elle était odieuse et qu’il la considérait comme caduque : singulière théorie dans la bouche d’un homme qui appartient au gouvernement ! Dès le début de la grève, M. Pelletan est allé banqueter à Toulon, puis à Nantes, et il a tenu ici et là des propos qui sont allés au cœur des inscrits maritimes. On les a applaudis ; on y a répondu en chantant autour du ministre la Carmagnole et l’Internationale. Il semble, en vérité, que le gouvernement se soit plu à jouer avec le feu, tout à côté d’un baril de poudre. En même temps, M. Trouillot, ministre du Commerce, prenait soin de faire connaître qu’il avait écrit une lettre aux compagnies maritimes, pour leur rappeler leurs engagemens envers l’État. Elles devaient rendre certains services ; elles recevaient pour cela des subventions, qui seraient naturellement diminuées en cas de suspension des services ; elles s’exposaient de plus à encourir certaines amendes. C’est ainsi que le gouvernement comprend l’égalité devant la loi ; des patrons et des ouvriers ; il la comprend comme les ouvriers eux-mêmes. Ces derniers ont tous les droits. Si les services publics soutirent de la manière dont ils en usent, tant pis ! On ne peut rien contre eux. Mais dès qu’il s’agit des