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vient pas de la nature de l’homme, d’où peut-il venir, si ce n’est des institutions ? Il n’y a pas une habitude vicieuse, pas un usage contraire à la bonne foi, pas un crime dont on ne puisse montrer l’origine, la cause première dans la législation, dans les institutions, dans les préjugés. Ce sont les mauvaises lois qui font les mauvaises mœurs. Donc changez les lois, réformez les institutions. Et puisque l’homme est partout le même et conforme à sa définition, comme les carrés et les triangles sont partout conformes à la définition du carré et du triangle, établissez des lois partout les mêmes et qui dépendent non pas du degré de latitude, mais des principes de la raison. C’est l’erreur de tout le XVIIIe siècle d’avoir cherché les causes du mal social et moral en dehors de l’homme, au lieu de les voir où elles ont été de tout temps, c’est-à-dire en lui-même. Ils ont ignoré la nature humaine au point de n’y pas apercevoir le germe jamais détruit de tous les pires instincts. Et dans leurs combinaisons, s’ils ont oublié plusieurs élémens, il en est un surtout dont ils n’ont songé à tenir aucune espèce de compte ; et c’est la passion !

Voulez-vous d’ailleurs moraliser l’homme ? instruisez-le. Savoir et vouloir ne sont qu’un ; les progrès de la vertu ont toujours accompagné ceux des lumières ; les hommes deviendront meilleurs à mesure qu’ils seront plus éclairés… Condorcet l’a répété en cent manières, et sans doute il s’est fait sur ce sujet d’étranges illusions. Au lieu d’y insister, ne vaut-il pas mieux reconnaître que nous touchons ici à la partie la meilleure et la plus solide de son œuvre : je veux dire ses idées sur l’instruction ? C’est l’honneur incontestable de Condorcet d’avoir le premier formulé les principes sur lesquels nous vivons encore en matière d’enseignement public, et tracé le plan que le XIXe siècle s’est efforcé de suivre, sans y réussir complètement. Et puisque nous les rencontrons sur notre route, pourquoi ne pas rappeler quelques-uns de ces principes les plus fermement établis par Condorcet, et qui font donc partie de la tradition révolutionnaire elle-même ? Condorcet n’admet pas que l’enseignement doive être chose d’Etat et qu’aucun droit puisse prévaloir contre celui du père de famille. Obliger les pères à renoncer au droit d’élever eux-mêmes leur famille, lui semble la plus dangereuse des injustices ; car « brisant les liens de la nature, elle détruirait le bonheur domestique, affaiblirait ou même anéantirait ces sentimens de reconnaissance filiale, premier germe de toutes les vertus. » Dans un pays qui inscrit en tête de sa Constitution et reconnaît comme des droits de l’homme la liberté de penser, de parler et d’écrire, Condorcet n’hésite pas à dire que toutes ces libertés doivent