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que, s’il eût essayé de se mettre en travers des projets de celui-ci, il lui en aurait coûté les pires infortunes, » car, ajouta-t-il, en désignant du doigt le basileus misérablement affaissé, celui-là est à tel point entêté dans ce qu’il veut faire, qu’il n’y a aucun moyen de l’en empêcher. Certes, je l’eusse tenté si c’eût été possible, et moi et les miens nous ne serions pas ainsi abîmés dans l’angoisse de la mort. » Quant au basileus, baissant la tête, pleurant et gémissant, il ne dit que ces seules paroles : « Non, Dieu n’est pas injuste ! Je subis la juste peine de mes crimes. » En même temps, il saisissait plus étroitement la Table sainte. Tous deux expiraient littéralement de terreur. Quant à moi, j’espérais encore que les choses en resteraient là, et je contemplais curieusement cette scène lugubre, philosophait en moi-même sur cette succession inouïe de catastrophes. Hélas ! je n’en étais encore qu’au prélude de la tragédie. »

Ce tumulte abominable durait depuis des heures, et la journée était presque écoulée. La foule en démence entourait toujours les deux fugitifs en les insultant et les pressant. Un respect superstitieux l’empêchait seul de les arracher à ce refuge très saint, infiniment vénéré. Mais elle montait la garde pour prévenir leur fuite et s’assurer qu’ils finiraient bien par périr. Comme le jour baissait, on vit enfin arriver un haut fonctionnaire dépêché par la basilissa Théodora, avec ordre d’emmener les princes. Avec ce personnage, accourait une foule nouvelle, mélange confus de soldats et d’hommes du peuple.

Skylitzès nous fournit quelques détails, qu’on ne trouve point dans Psellos, sur la scène qui s’était passée au Palais et qui avait motivé l’envoi de ce haut fonctionnaire, dont il nous donne le nom. Psellos nous l’avait au contraire caché, gardant cette même prudente réserve pour tous les hommes en vue dont il raconte les fictions.

Après que la basilissa Zoé eut remercié la foule, elle lui avait demandé ce qu’elle devait faire du basileus. Tous alors, d’une seule voix, avaient crié : « Mets à mort le scélérat, ô notre souveraine, fais-le tuer ! Qu’on l’emporte ! Qu’on le mette en croix ! Qu’on lui crève les yeux ! » La bonne Zoé, outre son horreur naturelle pour les supplices, avait encore le cœur plein de compassion pour le misérable qui l’avait si indignement traitée. Elle hésitait à obéir au peuple. Mais elle n’était plus seule à commander. Théodora, qui, sous la feinte douceur, probablement