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qui annonça que tout le peuple de la capitale se précipitait en masse sur le Palais, pour attaquer le basileus. La plupart de ceux qui m’entouraient crièrent d’abord que c’était folie. Quant à moi, me remémorant les propos que j’avais entendu proférer par la foule dans les jours précédens, je me rendis tout de suite compte de l’extrême gravité de la situation. L’étincelle du début était devenue un immense incendie qu’aucune rivière ne saurait plus éteindre. Je me jetai précipitamment sur un cheval et m’élançai dans la direction du tumulte. Là je fus témoin du spectacle extraordinaire que voici.

« Toute cette foule, — poursuit notre si précieux, mais très emphatique chroniqueur, — semblait vivre par une influence supérieure mystérieuse. Elle avait, en un clin d’œil, complètement changé d’aspect. Tous ces milliers d’êtres humains couraient comme des fous furieux, sentant leurs forces comme décuplées. Leurs yeux jetaient des flammes à la fois de colère et d’enthousiasme. Tandis qu’une partie de la populace forçait ainsi les prisons, délivrait et armait les prisonniers et les bandits de toute espèce, une autre portion se mit à attaquer les belles et riches habitations des parens du basileus. Toutes, assaillies presque simultanément, furent aussitôt démolies de fond en comble. C’était un spectacle terrifiant. Hommes, femmes, enfans travaillaient avec fureur à cette œuvre de destruction. Tout ce qu’on trouvait dans les maisons ainsi livrées à la pire colère populaire était immédiatement emporté dehors par les démolisseurs et vendu par eux à vil prix. Même les églises, les couvens fondés ou dotés par le Calaphate et les membres de sa famille, ne trouvèrent pas grâce. Parmi les demeures les plus vivement attaquées était celle du nobilissime Constantin, l’âme damnée du basileus son neveu. Le nobilissime, qui, à ce moment, ne se trouvait pas au Palais, avait d’abord couru chez lui pour fuir l’émeute qui l’épouvantait, puis, assiégé par elle, voyant qu’il allait périr, il avait armé toute sa maison et s’était mis bravement, lui sans armes, à la tête de cette troupe improvisée. On avait fait une sortie désespérée et on s’était rué, avec la rapidité de l’éclair, l’épée haute, à travers les voies encombrées. On avait ainsi réussi à gagner le Palais où on avait trouvé le basileus assis, muet, consterné d’épouvante. D’abord le malheureux s’était imaginé que ses gardes barbares, russes et autres, viendraient en quelques instans à bout de ce qu’il croyait être une simple échauffourée. Puis,