Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/435

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hauts fonctionnaires, jusqu’aux membres de la famille du basileus, les ouvriers aussi, toute la populace enfin. Chacun se préparait à une lutte sans merci.

« Fait infiniment plus grave, les troupes de la garde tauroscythe, les fameux mercenaires russes ou Værings, celles d’autres nations barbares encore, ne contenaient plus leur colère. Bref, ces vaillans, comme chacun dans la cité, étaient prêts à donner leur vie pour la basilissa bien-aimée, victime d’une telle infamie. Quant aux femmes, elles étaient devenues des furies. Comment pourrais-je décrire leur attitude pour ceux qui n’ont pu de visu contempler un tel spectacle ? J’en ai de mes yeux vu un grand nombre qui jamais une heure jusque-là, dans toute leur vie, n’avaient mis les pieds hors du gynécée et qui se montraient maintenant audacieusement à la foule, poussant des cris aigus, éclatant en sanglots, en plaintes lamentables. Pareilles à des Ménades, groupées en une masse hurlante, elles proféraient des imprécations terribles contre le scélérat qui les avait privées du leur mère adorée. « Elle seule, disaient-elles à haute voix, était aussi noble d’âme que belle de figure ! Elle seule était notre souveraine et notre mère, notre basilissa légitime, fille de nos basileis ! Comment ce misérable parvenu a-t-il osé mettre la main sur cette noble femme et la traiter avec cette indignité ? »

« Ainsi parlaient ces femmes distinguées devenues de véritables mégères en même temps qu’elles se précipitaient dans la direction du Palais pour tenter d’y mettre le feu. Cela avait commencé par des groupes isolés. Maintenant c’était toute la population qui accourait à la fois autour de la demeure impériale, poussée par un même élan de fureur, chacun ayant saisi l’arme qui lui était tombée sous la main. Les uns brandissaient des haches, les autres de lourdes framées, des épées, des massues ; qui maniait un arc, une lance, qui s’armait de cailloux. On avait ouvert les portes de toutes les prisons.

« Bien vite, toute cette foule en délire eut entouré hurlante l’immense enceinte palatine. Je me trouvais à ce moment dans une des antichambres du basileus. À cette époque, je remplissais, depuis assez longtemps, auprès du souverain, les fonctions de second asecretis impérial, et j’étais occupé à dicter des dépêches officielles, lorsque nous entendîmes soudain monter par les fenêtres une grande rumeur, un grand bruit de chevaux qui nous bouleversa tous. Aussitôt on introduisit un messager haletant