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saint et surtout de son entourage se trouve chez lui fort obscurci : le Pape, les cardinaux, le brutal père Bernadone, sont devenus pour Sassetta, comme ils Tétaient pour le peuple, les figures d’un conte de nourrice, faites à plaisir pour tourner et pour s’effacer autour d’un héros, devenu lui-même tout idéal : mais il se trouve que le Saint ressemble plus à cette image qu’à aucun portrait plus réel ; et le peuple cette fois a été plus artiste et plus clairvoyant que Giotto. Sassetta est le premier peintre qui ait reproduit l’adorable anecdote de la conversion du loup de Gubbio. Pourquoi ce morceau, conservé dans une autre collection de Paris, n’était-il pas à Sienne ? Pourquoi deux seulement des six tableaux de M. Chalandon ? De tous le plus regrettable, le plus parfait et le plus pur, c’est le Mariage mystique de saint François, la perle italienne du musée de Chantilly. Ce chef-d’œuvre n’est plus à décrire. L’admirable campagne siennoise, le soir qui dore au premier plan la porte de San Quirico, la douce vallée que ferme au loin le cône majestueux du mont Amiata ; les trois vierges pudiques et sveltes, l’Humilité, la Charité, la Pauvreté, si soudaines et si légères, unies par leurs bras qu’elles se donnent, comme les Trois Grâces chrétiennes ; la vive démarche du saint qui, s’empressant à leur rencontre, reçoit avec amour l’anneau qu’une des sœurs lui présente, tandis que Frère Léon, un peu à l’écart, joint les mains et admire : tout cela, pour la forme et le sentiment, est une chose accomplie. Et tout cela ne serait rien, sans la divine fuite de l’apparition, qui s’élève d’un vol sans ailes, traçant dans le beau crépuscule une suave courbure, comme le triple rayon d’un paisible arc-en-ciel. Quel poète a su exprimer en peinture cette chose, entre toutes insaisissable : l’évanouissement d’une vision ? Mais ce ne serait rien encore, sans cette idée exquise : le regard de l’épouse angélique qui détourne la tête en remontant au ciel. Il n’y a pas dans l’art une idylle plus tendre, plus mystique et plus virginale.

Le plus intransigeant et le plus populaire des élèves de Sassetta, lequel porte le nom si siennois d’Ansano (qu’on abrège en Sano) di Pietro, est représenté à l’Exposition par un bon nombre. d’œuvres, malheureusement assez médiocres. On trouve pourtant dans le nombre quelques morceaux ayant au moins l’intérêt de bons documens. C’est d’abord une copie de la Présentation au temple, ce chef-d’œuvre d’Ambrogio Lorenzetti, conservé à l’Académie de Florence. C’est un clair exemple (on en pourrait