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dans les chaumes, mais ce n’est pas encore le temps de la vendange. Cependant des groupes de cavaliers et de dames partent pour la chasse en causant, avec leurs faucons et leurs chiens, tandis que des bourgeois, organisant une battue, tirent des grives dans les vignes. Des manans conduisent à la ville, qui son âne chargé de ballots, qui son cochon qu’il cingle à coups de houssine. Un cul-de-jatte demande l’aumône, sur le bord du fossé. Les routes sont sûres au loin, l’année fertile, le pays heureux. Tel qu’il est aujourd’hui, décoloré, réduit à l’état de grisaille, ayant perdu aux trois quarts ses valeurs et ses effets, le paysage ici est encore pour nous surprendre. La seule diversité en fait déjà un objet d’étonnement. Un paysagiste moderne ferait vingt morceaux de cette fresque. Le peintre de marines ne se hasarde plus aux sujets de forêt. Avec notre besoin d’analyse, nous faisons le portrait d’un arbre, d’un nuage, d’une vague. A vrai dire, nous avons remplacé le tableau par l’étude. Ambrogio ose la peinture d’une contrée entière. Il la prend au talus qui dévale de la porte de la ville, et suit ses mouvemens complexes jusqu’à l’horizon. C’est la géographie idéale de la campagne siennoise. Et quoique la mer en soit fort éloignée, le peintre figure dans un coin de son tableau un port, le port de Talamone, nouvellement acquis par la République, qui en est fière et se flatte de capter par-là le commerce de Florence.

Cependant ici, pour la première fois, le sentiment moderne, l’observation positive de la nature apparaissent dans l’art et parlent leur vrai langage. Chaque objet est défini dans sa forme ; on distingue chaque sorte de culture, les chaumes des labours, les labours des prairies et des plantations maraîchères. Les cordons de vignobles rayent le flanc des collines, les champs plus éloignés, séparés par des haies, ressemblent à une étoffe rapiécée. Tout cela est vu d’un regard calme, simple, juste : Ambrogio repose paisiblement ses yeux sur l’image de la patrie. Il ne la flatte point, la trouvant assez belle. Il apporte à cette peinture quelque chose qui vaut mieux que la passion : de l’amour filial. Cette extrême et profonde intimité avec les choses lui permet d’exprimer sans effort ce qui nous paraît impossible, l’harmonie de ces mille détails. Une route descend de la porte de Sienne, chemine dans la plaine, côtoie des villages, disparaît au milieu des collines ; peu de bois, des verdures rares, une contrée d’aspect grave, de couleurs pauvres mais de traits