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pointe d’ivoire. Étoffes, coussins, draperies, tout chatoie et brille d’or, en brochages, en ramages, en broderies, en mille damasquinures. Quant aux auréoles, elles enferment dans leurs disques toute une flore merveilleuse, flore des champs, flore des bois, gravée ou en relief, aussi naïve, aussi subtile, aussi variée que la flore gothique enroulée aux chapiteaux de nos églises. Ce sont de vrais chapeaux de fleurs que ces orbes hiératiques. On reste confondu de la somme de patience dépensée presque en pure perte sur ces détails imperceptibles. Pourtant de quels tressaillemens ne serait pas privée la peinture siennoise où l’on éteindrait ces infiniment petits de lumière ! L’œil ne distingue dans le pré ni la raiponce, ni le bleuet ni le pied-d’alouette : et ce sont toutes ces corolles invisibles qui font que le pré est fleuri.

Ces peintres sont des poètes. Ils l’ont été pendant deux siècles, tant qu’a vécu l’école siennoise, depuis Duccio leur père, jusqu’aux derniers et moins fameux de ses disciples. Ils ont toujours regardé la nature en idéalistes. Leur poétique se trouve définie merveilleusement par un grand poète. Pétrarque a dédié deux sonnets au peintre de Laure. « Oui, écrit-il, mon Simone a été l’hôte du Paradis, qui était le séjour de cet être adorable. C’est là qu’il l’a vue ; c’est là qu’il l’a pourtraite pour rendre témoignage ici-bas de sa beauté. Son ouvrage est bien tel que le ciel peut les concevoir, non la terre, où le corps voile l’âme aux regards. Ce chef-d’œuvre n’était plus possible, l’artiste une fois descendu dans le monde des sens, lorsque ses yeux ressentirent la glace et les ardeurs de la condition mortelle. » Louange singulière ! On eût attendu qu’un amant souhaitât dans cette sorte d’image un réalisme plus exact. Mais si ces vers sont autre chose qu’une suite de creuses hyperboles, ils signifient que Simone n’avait tracé de son modèle qu’une ressemblance tout idéale. Que le curieux se console donc de la perte de ce portrait ! Il n’est pas douteux que ce fût un document médiocre, plus que sobre en détails sur l’apparence visible de la dame de Noves. L’auteur n’y avait peint que le caractère d’un esprit. Les rares portraits qui nous restent de l’école siennoise confirment cette impression. L’exquise peinture de la Cappella delle Volte, à San Domenico de Sienne, où l’on voit sainte Catherine qui donne sa main à baiser à une dévote à genoux, est la plus ravissante des élévations mystiques ; mais bien qu’elle passe pour l’ouvrage d’André Vanni, ami personnel de la sainte, il