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Mais déjà le byzantinisme commence à se dégager de ses rouilles. Un rajeunissement inexplicable déride l’ancienne rigueur. A côté du manœuvre on voit apparaître l’artiste. Le grand libérateur ici, comme à tant d’autres égards, est saint François d’Assise. La seule nécessité de représenter son histoire, pour laquelle il n’y avait pas de formules toutes faites, oblige le peintre à créer. Il bégaie, mais il improvise. Mille émotions nouvelles se mettent à souffler dans le monde. Ce mouvement ne suffit pas sans doute à faire jaillir une poétique tout neuve : il ranime du moins l’ancienne tradition. En même temps arrivent d’Orient, sur les vaisseaux de Pise, alliée politique de Sienne, les originaux de Byzance, ivoires, émaux, miniatures, qui rendent aux peintres les vrais modèles de leur art. Enfin la grande révolution gothique, qui vient de s’accomplir en France, commence à faire le tour du monde, et construit aux portes de Sienne, pour l’ordre de Cîteaux, l’abbaye dont on admire encore, encadrant le pur ciel toscan, les pures fenêtres bourguignonnes. Et, dans le sud de l’Italie, de Palerme à Messine, à la délicieuse Capoue, s’ébauche autour d’un Empereur qu’environne une cour de philosophes juifs, d’Arabes averroïstes, d’artistes et de troubadours, une vraie Renaissance avant la Renaissance, que ne peut ignorer la gibeline Sienne. Son Musée offre encore quelques exemples de ces premiers progrès, de ces premiers sourires. Et nous pouvons admirer à l’Exposition le plus noble effort de ce temps, la grande Madone de Guido. La signature du peintre se lit dans un distique léonin, suivi d’une date fort discutée : 1221. Les visages et les mains, repeints aux dernières années du siècle, ne laissent plus guère juger de ce que l’auteur savait faire. Pourtant, par ses dimensions seules, par la grandeur des draperies, par l’attitude déjà plus tendre de la Mère et le geste plus vif de l’Enfant, par un accent partout plus intelligent, plus sincère, cette peinture, à cette date, assure à Sienne l’honneur d’une considérable avance.

Vers la fin du siècle, l’école allait trouver son expression définitive et se créer son langage propre. Sienne est alors dans toute sa force. Elle n’a guère moins de quatre-vingt mille âmes. Elle est plus grande que Londres, plus grande que Paris. Elle est surtout plus riche. Elle fait le commerce de la soie et de la laine. Placée sur la route de Rome, sur la Via Francigena (la France, comme l’ancien Empire, avait donné son nom à tous les grands