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L’Eglise s’est de nouveau émancipée dans la foi des peuples. L’État, peut-être, aurait quelque temps pour lui les apparences de la victoire ; mais il en serait de cet échafaudage d’usurpations comme de la tour napoléonienne, qui jadis dominait l’Europe ; il suffit, pour certaines destructions, d’un léger battement d’ailes de l’esprit de Dieu, cet esprit qui dirige les cœurs des peuples comme l’eau des ruisseaux… Le grand mouvement de pensée, auquel a donné lieu cet acte de violence, et l’allocution du chef suprême de l’Église, nous ont apporté la première rumeur de l’approche d’une nouvelle époque et d’un esprit nouveau… Minuit vient enfin de sonner ; un jour nouveau s’est levé pour nous.


IX

L’emprisonnement de Minden émancipait l’église d’Allemagne : sous le regard des geôliers, l’antique principe chrétien de l’indépendance des consciences à l’endroit du pouvoir civil ressuscitait. Sans prolixité de paroles, par le fait qu’il résistait, Droste rectifiait les positions respectives de l’Etat et de l’Église. Leurs rapports, jusque-là, étaient considérés par l’État protestant comme une affaire d’administration interne ; leurs litiges étaient débattus, dans la poussiéreuse pénombre des bureaux, entre canonistes d’État et canonistes d’Église : le public s’en désintéressait. Avec Droste, au contraire, les relations entre l’Eglise et l’État prirent subitement la portée d’une question politique intéressant tous les citoyens : elles sortirent du domaine des spécialistes et furent évoquées devant l’opinion ; ce ne fut plus seulement un duel de minuties juridiques, un ergotage sur des détails de forme ; ce fut un duel de théories philosophiques, dont les âmes comprenaient qu’elles étaient l’enjeu. M. Paulsen, le philosophe de l’Université de Berlin, expliquait récemment que, dans l’Allemagne moderne, c’est grâce à l’existence du catholicisme que le principe de la liberté des consciences fut victorieux : on pourrait, avec plus de précision, saluer Droste comme le premier et le principal ouvrier de cette victoire. Le roi de Prusse venait de broyer en une même mixture, et de refondre en un même creuset, les diverses confessions protestantes de son royaume ; cette même Réforme, qui, trois siècles plus tôt, proclamait l’affranchissement des âmes, les amputait, les unes et les autres, d’une partie de leur credo, et les soumettait à la tutelle dogmatisante d’un Hohenzollern. Il se glorifiait en lui-même de son facile triomphe, lorsque survint une voix d’archevêque attestant au roi de Prusse que les âmes ne lui appartenaient point et