Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 23.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement surexcitée depuis le commencement de la guerre : et cela s’explique. L’Angleterre étant, et de beaucoup, le pays du monde qui fait le plus grand commerce maritime, est également celui qui est appelé à souffrir le plus d’une guerre qui met en cause les intérêts du commerce universel. L’exercice du droit de visite est sans doute pour elle une grande gêne : il n’y a malheureusement aucun moyen d’y échapper, lorsqu’il ne sort pas des limites légitimes, et c’est ce que M. Balfour a reconnu très sensément lorsqu’il a dit à la Chambre des communes que les neutres d’aujourd’hui pouvant être les belligérans de demain, tous avaient un égal intérêt à la reconnaissance de droits dont chacun était appelé à profiter à son tour. Les Anglais ont très largement appliqué le droit de visite pendant leur guerre du Transvaal ; ils ne sauraient donc le contester aujourd’hui ; et qui sait s’ils n’auront pas encore à en user dans un temps plus ou moins prochain ? Mais les pays, comme les individus, vivent surtout dans l’heure présente. De là l’irritation et l’impatience qu’éprouve parfois l’opinion britannique, et qui ne se calment chez elle que par un effort de raison. Il faut d’ailleurs reconnaître que jusqu’ici la raison a toujours prévalu.

Mais une nouvelle question a surgi entre Londres et Saint-Pétersbourg, celle de savoir ce qu’il faut entendre exactement par contrebande de guerre. Le droit de visite s’exerce pour la rechercher et pour la saisir sur le navire suspect. Quelquefois on saisit le navire lui-même, et nous avons vu que, dans certains cas, les Russes l’ont coulé sans autre forme de procès, ce qui est sans doute un peu expéditif et a amené de nouvelles protestations de la part de l’Angleterre. Disons en passant que le gouvernement russe, toujours conciliant, a promis de ne plus couler les navires sur lesquels il aurait trouvé, ou cru trouver de la contrebande de guerre : car enfin on peut s’y tromper. Il s’en faut de beaucoup, en effet, que les articles qui entrent dans la nomenclature de la contrebande de guerre soient reconnus tels en vertu d’un consentement universel. Lorsqu’une nation fait la guerre, ce qui est actuellement le cas de la Russie, elle a une inclination naturelle à étendre la nomenclature ; et lorsqu’elle ne fait pas la guerre, mais seulement du commerce, ce qui est actuellement le cas de l’Angleterre, elle a une inclination non moins naturelle à la. restreindre. Il est fâcheux que, sur un point aussi délicat, une entente internationale n’ait pas eu lieu en temps de paix. On comprend par ce que nous venons de dire combien elle est plus difficile en temps de guerre, et c’est encore un desideratum à soumettre à nos grands « pacifistes » d’aujourd’hui, comme ils s’intitulent