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porter le joug. Le palais s’est avancé, la montagne a reculé, docile à la voix de l’homme. » Et l’on s’attend à ce que Pollius, auteur de ces miracles, soit comparé par le poète, qui connaît sa mythologie, à Orphée, Arion ou Amphion. Stace fait bonne mesure : il le compare à tous les trois à la fois.

Laissons là les souvenirs mythologiques de Stace. Ces énormes travaux avaient quelquefois leur utilité pour ménager une vue plus belle, ou pour livrer à la culture un sol auparavant stérile : à Sorrente, par exemple, le rocher aride avait été recouvert d’une terre féconde ; les moissons croissaient jusqu’au bord de la mer, suspendues au-dessus des flots, et la vigne, sur le penchant de la côte, descendait si bas qu’elle était plus d’une fois atteinte par l’éclaboussement de la vague. Mais souvent aussi, c’était pour le seul plaisir d’affirmer sa puissance et de frapper les esprits. Avant d’être arrivé à la maison de Pollius, et tandis qu’en suivant le portique on s’élève à travers le parc, on est déjà pénétré de l’opulence du propriétaire. La villa elle-même est construite tout à fait sur la hauteur, de façon qu’on puisse embrasser la mer dans toute son étendue, depuis les maisons d’Herculanum et de Pompéi qui mettent au pied de la masse noire du Vésuve la note gaie de leurs couleurs claires, jusqu’aux deux îles rocheuses qui ferment harmonieusement le golfe : Ischia et Capri. Rien de plus vaste que les bâtimens, de plus varié aussi comme exposition. Il y a des appartemens pour les différentes heures du jour, comme pour les différens caprices du maître. Tel pavillon est tourné vers l’Orient et jouit, avec le premier éclat du soleil, de la fraîcheur matinale. Tel autre veut encore retenir l’astre à son déclin ; il s’obstine à garder la lumière du globe déjà disparu, « quand meurt le jour, que l’ombre des montagnes boisées s’allonge sur la mer et que les palais semblent flotter dans le cristal humide. » Aime-t-on entendre les vagues qui déferlent ? Préfère-t-on au contraire le silence de la terre ? Il y a de quoi satisfaire tous les goûts, et il suffit de passer d’un logement dans un autre. Mais un même corps de logis offre, à lui seul déjà, une extrême diversité de points de vue. De chaque pièce et de chaque coin d’une pièce le spectacle est nouveau. Comme les fenêtres sont très hautes mais très étroites, aucune ne permet à l’œil de saisir un très large horizon. En revanche, à chaque fois, l’échappée est différente sur la mer ou les terres qu’on découvre au-delà des