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et humide, d’une fertilité à rendre jaloux le vieil Alcinoos ou l’enchanteresse Circé.

Quel charmant séjour cette description nous révèle déjà ! Mais entrons à l’intérieur de l’habitation ; visitons les divers bâtimens. Le spectacle est plus admirable encore. Toutes les murailles resplendissent d’incrustations. C’est là un système de décoration coûteux, mais magnifique, qui avait été fort en usage au temps des monarchies macédoniennes, dans les opulentes cités d’Egypte et d’Asie Mineure, à Antioche, Séleucie, Pergame, Alexandrie. Il consiste à orner les parois d’une salle de revêtemens précieux, plaques de marbre, lames d’or, d’argent ou d’airain, dalles d’ivoire, de verre ou de mosaïque, et à relever encore ces surfaces par des reliefs travaillés en l’une de ces brillantes matières. Des pays grecs la mode avait passé en Italie où, dès le début de l’Empire, elle faisait fureur. Plus elle offrait l’occasion de déployer une richesse extravagante, plus elle devait être adoptée avec passion par ces grands seigneurs romains, préoccupés de dépenser leurs colossales fortunes. On peut donc s’attendre à la retrouver avec tout son éclat dans la villa de Tibur. De toutes parts en effet, d’après Stace, ce ne sont que poutres au plafond couvertes de dorures, jambages de, portes en bois de Mauritanie, marbres de Phrygie violets ou rosâtres, parsemés de taches brillantes et dont la bigarrure naturelle est rehaussée de veines peintes, riches pavemens en mosaïque. Mais en nul endroit mieux que dans les thermes ne s’étale cette magnificence d’incrustation. Les bains n’étaient plus seulement, à cette époque, une nécessité, comme sous la République ; ils étaient devenus un luxe auquel on apportait des raffinemens extraordinaires.

Rien ne paraissait assez beau pour décorer cet ensemble de salles où l’on passait voluptueusement de longues heures du jour. Sénèque, étant allé voir à Literne la villa de Scipion l’Africain, avait contemplé plein d’étonnement l’étuve étroite, obscure, dont se contentait le grand homme. « Maintenant, ajoute-t-il, qui daignerait se baigner ainsi ? On se regarde comme pauvre et misérable, si les murs n’étincellent de plaques précieuses, arrondies au ciseau ; si au marbre d’Alexandrie ne se mêlent des incrustations de Numidie ; si la mosaïque n’y rivalise avec la peinture ; si le plafond n’est lambrissé de verre ; si les piscines ne sont taillées dans la pierre de Thasos ; si l’eau ne s’échappe