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encore que les indigènes et leurs ennemis se mêlent le plus pacifiquement du monde dans les auberges et les cabarets. Ils s’assoient à côté les uns des autres et semblent être de très bons amis. Il est vrai que beaucoup d’entre eux sont nés sur le même continent ; ils sont de part et d’autre Asiatiques, souvent même ont une origine commune, appartiennent à la même race, et surtout ils ont la même vie grossière. La grande différence qui sépare un Européen, qu’il soit Anglo-Saxon ou Latin, du Mongol ou du Tatar n’existe point ici. Le combat fini, on arrive bien vite à s’entendre ; les plus grandes cruautés commises des deux côtés sont oubliées. Il peut y avoir de la haine au fond des cœurs ; mais extérieurement on a le même train de vie journalier, les mêmes goûts, les mêmes récréations. En particulier, on s’accorde dans la frugalité des besoins, l’insouciance du confortable, l’indifférence à l’égard du raffinement, et le degré rudimentaire de culture. Et ce qui certes empêche les froissemens dans les relations de chaque jour, c’est que, loin d’essayer de transformer et d’éduquer le peuple conquis, les conquérans eux-mêmes s’abaissent très souvent à son niveau. A l’exception du chemin de fer, je ne vois guère de tentative pour civiliser les Mandchous. Il n’y a même pas d’encouragement au commerce et le trafic international, en particulier, est tout à fait nul, car toutes les villes sont encore fermées aux étrangers ; le gouvernement russe a même fait des arrangemens pour que les entreprises anglaises et américaines de mines, montées par des capitaux anglais et américains, soient remises entre ses mains. Il semble y avoir les mêmes restrictions en matière spirituelle et on suscite des difficultés chaque jour plus grandes à l’extension de l’œuvre des missionnaires.

Pendant ce temps, l’administration mandchoue conserve ses vieilles formes extérieures. Elle est divisée en trois gouvernemens : Tsi-tsi-kar, Kirin et Moukden. Chaque province a un gouverneur et tous les trois sont sous l’autorité d’un vice-roi ou mandarin de haut rang qui réside à Moukden. Le yamen officiel et ses dignitaires de toutes fonctions, en nombre infini, sont, exactement ici ce qu’ils sont partout, et on les voit fort affairés à écrire d’extraordinaires signes cabalistiques sur des feuillets de papier de riz. Je les crois tous très occupés, appliqués au détail de mille menues questions locales. Ils sont tenus serrés à la besogne tout le long du jour. Je ne pense pas qu’ils aient rien à