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maigre, ils ressemblent beaucoup à des sangliers. Ils fourmillent dans chaque cour, fouissant et faisant des trous dans le sol et donnant à l’entourage de chaque maison mandchoue, l’aspect le plus déplaisant et le plus sale. Il y a pas mal de volaille, — oies, canards et poules, — partageant la demeure de la famille. Chaque entrée est gardée par des chiens à demi sauvages, qui ressemblent à autant de loups et certainement ne sont pas moins féroces. J’ai failli plus d’une fois être dévoré ; et comme il ne faut pas songer à se défendre, mes poches sont toujours pleines de biscuits. Un logis mandchou, au résumé, est comme une foire aux bestiaux ou une arche de Noé, et le genre de vie est antédiluvien lui aussi. En général, l’existence de ce peuple est bien au-dessous du niveau chinois. Son aspect est beaucoup plus sauvage, d’abord ; ses occupations sont tout extérieures ; et les vieilles doctrines confucéennes n’ont jamais pénétré si loin. Il a toujours mené une vie plus physique qu’intellectuelle, où les batailles ont tenu plus de place que la pensée, et aujourd’hui encore presque toute l’armée impériale est composée de Mandchous.

J’avance lentement. Le voyage se poursuit ainsi pendant des jours, coupé de haltes prolongées, que je mets à profit pour des excursions dans l’intérieur : chars à bœufs, poneys mongols, montures cosaques, j’use de tout, supportant beaucoup de fatigues, mais trouvant ainsi d’extraordinaires occasions de me familiariser avec le pays et les gens. J’arrive enfin à Kharbine, ville fameuse, qui est l’embranchement où se réunissent les trois lignes du chemin de fer de Mandchourie : celle de Vladivostock, celle de Port-Arthur et celle de Sibérie.

Des nombreuses villes où je mis pied à terre, aucune ne m’a jamais présenté un plus morne, un plus désolant aspect. C’est par une sombre et froide après-midi d’automne ; la pluie tombe en nappes et l’eau ne semble pas seulement descendre du ciel, mais aussi filtrer du sol. La rivière a débordé et tout le pays est inondé. La moitié de l’endroit est sous l’eau ; la station du chemin de fer elle-même semble une île au centre d’un marais. Les quelques voyageurs pour Vladivostock et moi-même sommes portés à des d’homme dans la salle d’attente, qui a l’air d’un lieu de refuge. Il y a une foule mêlée de moujiks et de Cosaques, de Chinois et de Mandchous, tout leur bagage entassé autour d’eux : literie, ustensiles de cuisine, paquets de toutes sortes et de toutes dimensions attachés ensemble. Cette espèce de grange sert aussi