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voulu porter son petit ruisseau à une grande rivière et être porté par elle. Né pour servir, il s’attachait plus aux opinions des autres qu’aux siennes, observait avec scrupule la discipline des paroles et des actes. Son indépendance, qui ne supportait aucun joug de l’Empire, les acceptait tous des frères et amis, et son goût de solidarité avec des compagnons sûrs l’avait conduit à rétrécir son parti aux proportions d’une faction et d’une secte. Tel était aussi Cousin, et si une persécution moins violente l’avait laissé plus obscur, cette ombre couvrait une nature plus violente. Manau épuisait toute l’ardeur de la sienne dans sa haine contre l’Empire : pour le reste, il se contentait de recevoir l’impulsion révolutionnaire ; Cousin était homme à la donner. Sans fortune, sans principes, sans scrupules, il avait le perpétuel grief des irréguliers de la vie contre tous les hommes qui ne leur ressemblent pas et contre les institutions qui les menacent. Mais si les haines religieuses et sociales avaient pénétré plus profondes en Cousin qu’en Manau, tous deux étaient également incapables de résister à leurs compagnons ordinaires, à une poussée de la foule ; et si la violence révolutionnaire leur offrait par surcroît une chance de s’élever en se vengeant, ils pouvaient devenir un embarras. Eux aussi devaient être annulés. Duportal les connaissait : il conclut que le meilleur moyen de les annuler était de les nantir.

Avocats, ils avaient sinon les aptitudes, au moins les titres indispensables à l’exercice des charges judiciaires. Dans la magistrature de Toulouse, où les révocations n’avaient pas seules fait des vides, l’âge venait d’ouvrir la vacance la plus importante : le premier président, M. Piou, était arrivé à la retraite. Manau prétendait à la succession, Duportal la demanda. Que le candidat convînt tout à fait pour la charge, c’est ce dont ne s’inquiétait guère le préfet, assez révolutionnaire pour qu’il lui plût même, en pourvoyant aux emplois, de continuer une œuvre destructive et d’amoindrir les défenses sociales par les défenseurs préposés à leur garde. Lui-même s’est expliqué sur cet acte : « Je l’ai fait sans sourciller, tant, pour obtenir au proscrit Manau la réparation qu’il ambitionnait, étaient médiocres mon souci de la fonction et mon désir d’en relever l’éclat par le fonctionnaire[1]. » Dans sa dépêche aux ministres, il disait présenter Manau « d’accord avec Saint-Gresse. » Saint-Gresse

  1. La Commune à Toulouse, par Armand Duportal, Toulouse, 1871, Paul Savy.