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richesse et le siège de sa vie. Cette conviction devient d’autant plus impérieuse que ces groupes comptent plus d’hommes. Dans les grandes villes, où ces foules s’échauffent par leur masse, se croient irrésistibles et, quand le gouvernement leur résiste, semblent croire qu’il se révolte, cette ardeur de souveraineté a toute sa puissance. Elle ne se borne pas à vouloir pour quelques chefs le pouvoir, et pour la foule le spectacle d’une révolution : elle en veut le bénéfice pour tous. Les uns rêvent, chacun à son avantage, le pillage démocratique de l’autorité, de ses fonctions, de ses profits. Les autres aspirent à un changement plus vaste, à une libération collective des classes malheureuses, et cette générosité sociale les rend cruels et impitoyables pour les violences et les ruines dont il faut acheter ce sort meilleur.

Si l’on considère la place et l’étendue de cette région révolutionnaire, on la voit s’étendre largement sur le littoral de la Méditerranée et remplir la vallée du Rhône circonscrite en un grand triangle dont les sommets s’appellent Toulouse, Marseille et Lyon. Emblème de la force occulte qui gouverne la démagogie par la discipline des sociétés secrètes, ce triangle est comme la marque imprimée sur les contrées de la France les plus soumises à ce joug. Et Toulouse, Marseille, Lyon présentent, dans la variété la plus parfaite, les appétits, les ressources et les actes de la révolution. C’est dans ces trois villes à la fois qu’elle a, dès le 4 septembre, éclaté avec le plus d’énergie factice ou vraie, conduite ou spontanée. C’est là que les événemens se sont succédé et se sont glorifiés au grand jour comme conformes aux passions inconscientes de la plèbe et aux calculs réfléchis des meneurs, comme la suite nécessaire de la délivrance et le commencement des destructions nécessaires. Les excès commis dans ces centres retentissans de la vie publique ont acquis aussitôt une force d’exemple, sont devenus un modèle pour les régions à l’entour, ont répandu au loin un rayonnement et la contagion de l’exemple. Enfin, ils ont pris dans chacune de ces villes une gravité et un aspect différens : diversité qui, jusque dans la source des mêmes passions, montre la différence des tempéramens, et témoigne des contrastes toujours maintenus malgré des siècles d’unité entre les races de la nation française. C’est pourquoi l’étude de la conquête républicaine en France trouve son complément et sa synthèse dans le récit des faits accomplis à Toulouse, à Marseille et à Lyon.