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l’intérêt des personnes, et au désir de servir des idées l’impatience de récompenser leurs défenseurs. De là les candidatures aux places. Comme dans ces petites factions d’opposans les avocats dominent, les postes de magistrature sont les plus désirés, avec les préfectures et les sous-préfectures auxquelles tous se jugent aptes. Sur ces partages de butin ils font leurs accords et sollicitent celui du gouvernement. Pour obtenir, l’argument est toujours le même : ils se présentent comme investis et capables de garder par le vœu du peuple les pouvoirs qu’ils sollicitent du gouvernement. Mais ils ne sont pas dupes de ce qu’ils disent, ils tentent de convaincre sans croire, prêts, s’ils en imposent, à profiter de leur chance. Mais ils sont trop bons ménagers de leur intérêt pour s’obstiner contre elle. Le gouvernement, éclairé par la rivalité des ambitions qui se trahissent l’une l’autre, refuse-t-il de devenir leur dupe, ils cèdent ; quand ils désespèrent de convaincre, ils font retraite sur des compensations plus faciles à obtenir ; et, s’offrant comme auxiliaires où ils ne peuvent s’établir en maîtres, ils se ménagent accès et influence auprès de ceux que le gouvernement leur a préférés.

Plus on se rapproche du versant méditerranéen, plus nombreux se recrutent les contingens de la politique et plus impérieuses deviennent leurs exigences. Dans la Provence, où ils deviennent une foule, levée non seulement dans les villes mais dans les campagnes, elle imprime aux mouvemens qu’elle sou-, lève son ampleur, son énergie, sa brutalité. Aux ruses et à la souplesse du jeu par lequel les oligarchies gasconnes tentent de gagner au gouvernement de Paris quelques emplois, aux petites tricheries par lesquelles elles enflent leur importance, à la promptitude souriante de leur résignation quand leurs manœuvres n’ont pas dupé, se substitue la revendication impérieuse et obstinée d’une multitude qui croit à son droit et sent sa force. Ce n’est plus seulement une délégation de l’Etat dans les préfectures et les prétoires qui est sollicitée par quelques-uns, c’est l’indépendance qui, même dans les petits municipes, est revendiquée par les populations ; c’est une autonomie locale d’autant plus prête à la revanche sur le pouvoir central, que celui-ci est lointain, né d’une révolution, nouveau, semble moins fort, et que le moindre groupe de paysans assemblés dans leur village a le sentiment exagéré de sa force, la vision immédiate de ses intérêts, la conscience de son droit à gouverner son territoire, c’est-à-dire sa