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le mari. Lorsque Mac-Dathô, vaincu par les sollicitations de la sienne, lui ouvre enfin son cœur, elle a tôt fait de le tirer d’ennui.


Je vais te donner un conseil
Qui ne te sera point funeste :
Promets-leur le chien, à tous deux.
Qu’importent ceux qui tomberont à cause de lui !


Ravi de la simplicité d’une solution à laquelle son épaisse droiture n’eût peut-être jamais songé, Mac-Dathô se lève, au matin, tout heureux, et, docile à la consultation féminine reçue, la veille, sur l’oreiller conjugal, mande successivement les messagers des deux rois, promet aux uns comme aux autres de leur livrer à la même date le chien convoité par leurs maîtres, puis les renvoie dans leurs patries respectives, également satisfaits. Et c’est comme qui dirait la fin de l’exposition qui n’est déjà pas si malhabilement conçue.

A l’acte suivant, nous sommes encore dans le dûn de Mac-Dathô, car l’unité de lieu est presque aussi religieusement observée que dans une tragédie classique. Les gens d’Ulster et de Connaught s’empressent par deux voies différentes au rendez-vous, mais ayant cette fois à leur tête les princes Ailill et Conchobar. Pour accueillir dignement ces visiteurs d’importance, Mac-Dathô, conformément à un usage toujours en vigueur dans les campagnes bretonnes, a fait tuer en leur honneur son cochon, d’où le titre du récit, — un fameux cochon, il faut croire, puisqu’on l’engraissait du lait de trois cents vaches depuis sept ans. Il sera d’ailleurs flanqué de quarante bœufs, sur les tables du repas, sans parler de quantité d’autres victuailles. Des lits sont dressés pour les convives, et Mac-Dathô préside lui-même au service. Les guerriers de Connaught occupent une des moitiés de la salle, les guerriers d’Ulster l’autre moitié. Entre eux, sur le monceau des viandes accessoires, trône l’énorme cochon.


— Il a l’air bon, ce cochon, dit Conchobar.

— Oui, vraiment, répond Ailill, — mais, ô Conchobar, comment le découpera-t-on[1] ?


Grave question, en effet. Le soin de faire les parts était estimé à très haut prix, dans le protocole de ces temps héroïques.

  1. H. d’Arbois de Jubainville, l’Épopée celtique en Irlande, p. 71.