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LE DRAME
DANS
L’ÉPOPÉE CELTIQUE

Dans sa magistrale étude sur la Poésie des races celtiques, — la seule esquisse d’ensemble qui ait encore été tentée, jusqu’à présent de la littérature de ces peuples, — Renan, après avoir passé en revue les divers genres où les Celtes se sont exercés, conclut en ces termes : « Peu de races ont eu une enfance poétique aussi complète que les races celtiques : mythologie, lyrisme, épopée, imagination romanesque, enthousiasme religieux, rien ne leur a manqué. »

Rien ne leur a manqué ? Mais ne semble-t-il pas, et sur la foi de cette énumération même, qu’il leur a manqué une chose capitale, une chose essentielle, le théâtre ? C’est aussi bien ce qui ressort de tout l’article. Ou plutôt, ce qui paraît établi jusqu’à l’évidence par cet article, ce n’est pas seulement que le théâtre a manqué aux Celtes, c’est encore, c’est surtout qu’il ne pouvait pas ne pas leur manquer. Quel est, en effet, le portrait que Renan nous trace de l’âme celtique ? C’est une âme solitaire, retranchée du monde, sans besoin ni désir de communication avec le dehors, condamnée dès lors à s’alimenter de sa seule substance : « Elle a tout tiré d’elle-même et n’a vécu que de son propre fonds. » De là son originalité, sans doute, mais aussi sa faiblesse : un individualisme ardent, fermé, sinon hostile, à tout ce qui dépasse le cercle de la famille, du clan, de la tribu ; l’incapacité de sortir de soi, de se mêler à la vie sociale, de s’accommoder au temps, de se plier aux évolutions nécessaires,