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de diamans cachés dans les canons de son fusil-, et on ne parle pas d’autre chose… Mais Mme P… quitte la ville, et, avec d’autres voyageurs, notamment avec deux Juifs, monte dans un long chariot couvert d’une toile en voûte, traîné par quatorze chevaux. La pluie tombe toujours, mais le chariot part quand même, conduit par deux conducteurs, dont l’un tient les guides, et l’autre un fouet qui a huit mètres de long… Première halte dans une ferme, où le déluge continue, et tombe même, comme dans un cauchemar, à l’intérieur de la maison. Les meubles, un peu plus, flotteraient comme autant de bateaux. On repart, et une éclaircie permet de voir le paysage, une plaine immense, nue, qui monte, insensiblement, vers un horizon de montagnes noires. De rares arbustes, quelques cotonniers sauvages. Puis, on rencontre une mule en liberté, puis deux mules, puis dix mules, puis tout un troupeau de mules. On finit par apprendre qu’il y en a six mille, et qu’elles appartiennent toutes à un M. Van Renen. Un peu plus loin, la route borde un ravin, et la campagne, toute couverte de grandes roches géométriques, simule comme un chaos de gigantesques diamans bruts… Puis, le déluge reprend, et ne cesse plus pendant sept jours. Le soir, on s’arrête aux auberges, mais il y pleut comme en plein « veld, » on y couche par terre, et on n’y a rien à manger. Dans l’une d’elles, il y a bien un repas servi, mais il est commandé pour de mystérieux personnages, qu’on attend, et qui ne viennent pas. Interdiction aux voyageurs d’y toucher… Enfin, voilà Dutoitspan, et la voyageuse s’y trouve comme dans un immense champ de foire. Partout des tentes, des baraques, et sous ces tentes et ces baraques, des salles de bal, des cafés-concerts, des théâtres. Voici l’ « Alhambra, » le « Old-Cock-Jim, » et le « Saint-James-Hall, » qui annonce, sur son affiche, Victorien ou la Fille de l’Avare. Quant aux cahutes ou aux tentes, impossible d’y dormir ! Elles communiquent toutes à des cantines, à des tapis-francs et à des mauvais lieux où l’on se querelle et où l’on crie toute la nuit. Les coqs chantent, les ânes braient, les pianos font rage, on entend se battre les ivrognes… Le lendemain, Mme P… voit de plus près tous ces « diggers, » dont chacun exploite un « claym, » un carré de terre de trente pieds, qu’il fait fouiller et retourner par des nègres, et beaucoup de ces concessionnaires sont de la plus bizarre étrangeté, comme par exemple un certain ménage de saltimbanques qui ont quitté, tous les