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Plus riches, ou moins misérables, d’autres pèlerins, de ceux que les historiens spéciaux de cette conquête appellent des « seigneurs, » se font traîner dans des carrioles qui les emportent, à petites journées, dans les cahots et la vermine, et toutes ces prodigieuses processions, caravanes et théories, toujours décimées par la soif, la famine, l’épuisement, les fauves, les serpens ou les épidémies, fondent toujours, pendant le trajet, dans des proportions effrayantes ! Mais les bandes ne cessent pas de suivre les bandes, les charrettes de suivre les charrettes, et le fleuve des arrivans continue, sans diminuer, à passer sur les sépultures ! Malgré tout, à travers tout, la marche au Diamant se poursuit, et, au bout de trois ou quatre ans, trente mille « diggers, » c’est-à-dire trente mille concessionnaires libres, accourus de tous les climats et tombés de toutes les banqueroutes, campent victorieux à Kimberley. Ce qu’est alors ce camp paraît une vision de l’Enfer. Imaginez une véritable ville, avec des rues, des places, des hôtelleries, des carrefours, des églises, des théâtres, et même des journaux, mais une ville en chiffons et en épaves, en mottes de terre et en boîtes de conserve, une ville de tentes rapiécées et de cahutes en fer-blanc. On n’a pas de lits, et on couche sur des nattes, mais il y a déjà des cafés-concerts, et des pianos fêlés, qui ont traversé le Karao, accompagnent, derrière de vieux pans de toile ou de boîtes de sardines, des chanteuses expédiées par les agences d’Europe. Le jour, en traversant la rue, vous êtes foudroyé d’insolation, ou vous enfoncez tout à coup dans le sable, subitement étouffé par la poussière et les tourbillons ! Le soir, sauf la petite raie de lumière qui peut filtrer d’une baraque, ou la vague lueur de bougie qu’on voit pâlir sous une tente, aucune lumière, aucun falot, aucun lumignon n’éclaire le camp, et tous les crimes se commettent, tous les vices se soulagent dans cette obscurité où crient et s’enrouent les querelles, les discussions d’affaires et les musiques de bastringues !

A peu près vers ces commencemens, une dame P… s’était rendue, par le Cap, à l’un de ces grouillemens de « diggers, » au camp de Dutoitspan, et le récit de son voyage, publié dans le Tour du Monde, ressemble au récit d’un rêve. A son arrivée au Cap, une pluie diluvienne noie la ville, et la transforme en un lac de boue rouge. La voyageuse y reste à peine une heure, mais n’en apprend pas moins les nouvelles du pays. La police a arrêté un nommé Hopkins, qui emportait pour deux millions