Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/895

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la journée suivante, s’y remet encore le lendemain, gagne à ce métier de quinze à vingt francs par jour, et peut passer ainsi, jusqu’à ce que les facettes soient toutes exécutées, bien géométriques, bien étincelantes, trois et quatre mois sur une pierre !

Prenons donc le collier dont nous faisons l’histoire, et supposons-lui trois cents pierres, toutes belles, et représentant, chacune, trois journées de bruteur et trois mois de polisseur, ou trois journées de quinze francs, et quatre-vingt-dix journées de vingt francs. Chaque diamant vaudra 1 845 francs. Or, le collier en compte trois cents, et vaut, par conséquent, uniquement comme travail, en dehors des pierres elles-mêmes, de leur extraction de la mine, du clivage et de la joaillerie, 553 500 francs Uniquement comme façon, par ses facettes, il a donc fait vivre, avec des salaires exceptionnellement élevés, trois cents familles d’ouvriers pendant trois mois, ou cent familles d’ouvriers pendant neuf mois, soit une moyenne de trois ou quatre cents personnes, hommes, femmes et enfans, pendant près d’une année. Est-ce qu’il ne représente pas, à la lettre, ce que représente un immeuble ? Est-ce qu’il n’est pas, comme l’immeuble, la vie de toute une partie de la collectivité ? De même que le châtelain, rien qu’en construisant son château, paye le droit de l’habiter de toute la vie répandue par sa construction, est-ce que la femme qui se pare de trois ou quatre cents belles pierres ne paye pas de même le droit de s’en parer de toute la vie rayonnée par leurs scintillemens ? Ne porte-t-elle pas vraiment, dans le sens économique et productif du mot, un domaine à son cou ? Trois ou quatre cents âmes en auraient-elles subsisté, si elle n’avait eu ni l’idée, ni le goût, ni le pouvoir de s’en parer ?


V

Des quinze ou vingt tailleries de Paris, la maison Eknayan est la plus considérable. Dans une des rues nouvellement reconstruites de Neuilly, sur une cour égayée par un parterre central, entre les quatre corps de bâtiment d’un vaste et bel immeuble, elle comprend, avec les chambres de taille, les machines et les bureaux, une trentaine de logemens d’ouvriers. Installés au premier, sur trois côtés de la cour, derrière de grands vitrages qui laissent voir l’intérieur et le mouvement de l’usine, les ateliers peuvent mettre cinquante meules en branle. De longs