Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

puissances du jour, le jeu et les autres plaisirs officiels. Point d’autre soulagement à son oisiveté que les mois de campagne, lorsqu’il y a guerre. Admirons-le d’avoir gardé l’esprit en éveil, alerte à l’attaque et à la parade, et de retrouver, le jour où il part pour l’armée, les vertus militaires devenues à ceux de sa caste une seconde nature. Ce n’est point de sa faute si les autres facultés, qu’il n’exerçait jamais, que le Roi ne voulait pas qu’il exerçât, s’appauvrirent chez beaucoup de ses descendans avec la prolongation du régime que l’on vient de voir. Quatre ou cinq générations de cette vie absurde aboutirent aux émigrés de la grande Révolution, tous braves, presque tous spirituels — ou en ayant l’air, — et dont un si grand nombre n’avaient absolument que de l’esprit. Jamais monarque n’a travaillé avec plus d’art et de méthode que Louis XIV à annuler sa noblesse et à la ruiner dans l’opinion. Le tout en souvenir de la Fronde.

Il en était des femmes comme des hommes. Même assujettissement, et même vide, d’où l’on a vu naître le faible de Mademoiselle pour Mme de Montespan. La situation de « maîtresse reconnue » n’arrêta rien ; Mademoiselle avait toujours eu pour règle de conduite que la vertu des autres ne la regardait pas. Les nouveautés de cette même situation firent le reste. Ses prérogatives inattendues, les habitudes qui en découlaient, et qui sont l’une des curiosités du règne, achevèrent de resserrer une intimité qui survécut ensuite aux plus rudes secousses.

Il avait bien fallu, puisque Louis XIV tenait ses maîtresses à la Cour, établir pour elles une façon d’étiquette. Il se forma des règles tacites, que personne ne formula jamais, que l’on démêle pourtant à travers les écrits contemporains. Ce furent ces règles qui firent le scandale, bien plus que des faiblesses ordinaires aux hommes de tous les temps. Le peuple avait trouvé le mot juste lorsqu’il courait voir « les trois reines » dans un même carrosse. Mlle de La Vallière et Mme de Montespan, toutes les deux à la fois, en étaient venues à occuper publiquement le rang d’épouses en second du Roi. Lors des visites solennelles de la famille royale à celui de ses membres qui allait mourir, elles arrivaient ensemble, après le Roi et la Reine. Mademoiselle les vit au lit de mort de Madame Henriette : « Mme de Montespan et La Vallière vinrent. » Elle les rencontra devant le berceau d’une fille de Louis XIV et de Marie-Thérèse, morte en bas âge : « Je la trouvai à l’extrémité… On y fut quasi toute la