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avait été « à elle » en arrivant d’Italie, bien avant la Fronde : « Il était venu en France avec feu mon oncle le chevalier de Guise… je l’avais prié de m’amener un Italien pour que je pusse parler avec lui, l’apprenant lors. » Lulli n’avait que treize ans. Dans l’intervalle des leçons d’italien, il était marmiton. Admis plus tard dans les violons de Mademoiselle, on raconta qu’il s’était fait chasser pour avoir chansonné sa maîtresse. Celle-ci rapporte les choses autrement : « — Je fus exilée ; il ne voulut pas demeurer à la campagne ; il me demanda son congé ; je le lui donnai, et depuis, il a fait fortune : car c’est un grand baladin. » Lulli resta toujours un « baladin » pour Mademoiselle, qui avait assisté à ses triomphes et qui lui survécut. Elle avait été frappée, plus encore que de ses « beaux airs, » de ses talens de mime, de danseur et de bouffon de comédie. Ils étaient, à la vérité, remarquables.

Mademoiselle s’en tenait au goût qu’elle avait pris à Saint-Fargeau pour les lettres. Son nom est demeuré associé à plusieurs incidens, gros ou petits, de l’histoire littéraire du temps. En 1669, lorsque Tartuffe fut autorisé de façon définitive, elle voulut en avoir le régal chez elle. Cela se remarquait, à cause des défenses de l’Eglise. Le 21 août, Mademoiselle donna une fête. Quand le gros des invités fut parti, « on joua Tartuffe, qui était la pièce à la mode, » devant « vingt » femmes et « force hommes[1]. » Faut-il voir une manière d’excuse dans le bout de phrase : « qui était la pièce à la mode ? » Quoi qu’il en soit, Mademoiselle put faire valoir à son confesseur qu’elle avait été économe avec Molière. La « visite de Tartuffe à Luxembourg[2] » fut payée aux acteurs 300 livres. Le prix courant était 550 livres. C’est ainsi que l’on fait les bonnes maisons.

Une autre fois, Mademoiselle eut l’honneur, s’il faut en croire l’abbé d’Olivet[3], de fournir à Molière une scène toute faite, et quelle scène ! Parmi les habitués de son salon figurait l’une des victimes de Boileau, l’imprudent abbé Cotin, qui, ne se trouvant pas encore assez étrillé, avait provoqué de nouvelles représailles en bavardant sur Molière. Un jour qu’il avait fait des vers, et qu’il en était très content, selon son habitude, l’abbé vint au Luxembourg les lire à Mademoiselle. Pendant qu’elle

  1. Mémoires de Mademoiselle.
  2. Registre de La Grange.
  3. Dans l’Histoire de l’Académie française.