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acquis durant les troubles civils à celles-là mêmes qui ne se mêlaient point à la politique. La force des choses avait alors émancipé les femmes. Dans le désordre général, et pendant que les hommes étaient à se battre, elles avaient perdu l’habitude de rester dans l’ombre et d’obéir, ou de n’être que les premiers objets de luxe de leur maison. Louis XIV avait entrepris de les ramener à un rôle décoratif, ou utilitaire : c’était à peu près comme si nous demandions aujourd’hui à nos filles, si libres et si mêlées au mouvement général, de revenir tout d’un coup à l’effacement et aux mille contraintes de notre propre jeunesse. Elles se cabreraient. En 1666, la plupart des clientes de la nécromancienne sollicitaient, avant tout, un secret pour secouer le joug retombé sur leurs épaules.

Le mari était l’incarnation naturelle de ce joug. Aussi était-ce à lui que les révoltées s’en prenaient d’habitude. Elles s’adressaient à une devineresse. La première consultation était presque toujours innocente. La devineresse conseillait des neuvaines au bon saint Denis, très secourable aux femmes malheureuses en ménage, ou à l’infatigable saint Antoine de Padoue. Elle réservait pour plus tard, ne les donnant qu’à bon escient, des « poudres » dont le secret avait été apporté d’Italie, et que l’on venait chercher à Paris de toute la province et des pays étrangers. On sait par des documens contemporains qu’il y entrait de l’arsenic, et que tant de personnes s’accusaient en confession d’avoir « empoisonné quelqu’un » que le clergé de Notre-Dame finit par avertir la justice (1673). Les pénitens, et surtout les pénitentes, disaient-ils toujours vrai ? L’imagination populaire est si prompte à prendre le galop dès qu’il s’agit d’empoisonnemens, que l’on peut se demander si une partie de ces malheureuses n’étaient pas plutôt des hystériques et des hallucinées ? Il est probable qu’on l’ignorera toujours. Les médecins d’alors étaient les médecins de Molière, et la chimie n’existait pas.

Le mari adouci, ou supprimé, les femmes demandaient à l’amour de remettre des émotions dans leurs existences rétrécies et affadies. La tâche de la nécromancienne consistait alors à intéresser Dieu ou le diable aux peines de cœur de sa cliente et à la faire aimer, bon gré mal gré, de l’homme qu’elle désignait On commençait par les neuvaines, on finissait par la messe noire, avec ses rites obscènes, ou par la messe sanglante, pour laquelle on égorgeait un petit enfant. Toutes les formes de