Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/85

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Limites légitimes réservait toutes les interprétations, avant tout celle des limites de 1792, les anciennes, les limites de la monarchie, antérieures à cette révolution dont on prétendait anéantir les effets et abolir la mémoire. Limites légitimes, pouvait-ce être aux yeux des alliés celles de 1795 déclarées constitutionnelles par la Convention ou celles de 1801 déclarées constitutionnelles par l’Empereur en 1804 ? Attribuaient-ils au traité de Lunéville un caractère unique d’imprescriptibilité, alors que tant d’autres traités, conclus avant et après celui-là, déclarés également éternels, tombaient répudiés, déchirés, abrogés par eux ? Aux Français de s’en flatter, s’ils le voulaient, et selon la vanité de leurs illusions. Le point était de les persuader que la guerre implacable n’était que la guerre à Napoléon ; que le Grand Empire et sa suprématie étaient seuls en jeu ; et que la France, pourvu qu’elle laissât les alliés renverser l’édifice impérial, se retrouverait chez elle, heureuse et pacifiée. On peut s’étonner que des calculs aussi profonds et aussi lointains se découvrent dans une proclamation qui semble écrite d’enthousiasme, improvisée aux fanfares des trompettes et signée sur un tambour par un général d’armée, qui ne raffine point sur les mots. Tous les mots sont pesés, creusés pour ainsi dire et évidés comme la fausse monnaie. Cet artifice a été conçu en 1805 et minutieusement élaboré depuis lors. Rien de plus prémédité, rien de mieux enchaîné que ce texte, l’initial, au moment d’entrer dans les dépendances du grand Empire, et le final, celui du 1er décembre 1813, à Francfort, au moment de passer le Rhin et à la veille de déchirer les voiles.


VIII

La guerre à peine déclarée, les nouveaux libérateurs de l’Europe montrèrent au monde comment ils traiteraient les rois si les rois se mêlaient de tenir leur parole et si cette parole avait été donnée à la France. Le roi de Saxe fut proposé en exemple significatif à la défection générale des Confédérés du Rhin. Blücher renouvelant les procédés de Frédéric, et retrouvant les chemins de la guerre de Sept ans, entra en Saxe, le 26 mars. Il appela aussitôt le peuple à l’insurrection. « Debout ! unissez-vous à nous ! levez l’étendard de la révolte ; votre souverain est dans les mains de l’étranger ; il n’a plus sa liberté d’action. » Le