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dont les horizons s’étendent et se multiplient à travers tant de volumes. Dans cet ouvrage en effet, la doctrine, résumée et condensée, se trouve présentée sous son aspect philosophique ; dans tous les autres, elle est utilisée et mise en œuvre, soit par voie d’induction et de telle sorte que chaque science particulière, — biologie, psychologie, sociologie, morale, — l’éclairé d’un exemple et la confirme de tous ses faits ; soit par voie déductive et de façon que dans-chacune de ces mêmes sciences, elle puisse devenir à son tour clarté nouvelle et source de découverte.

Ce serait une erreur et une injustice que de chercher dans ces applications de l’évolutionnisme des vérités de détail aujourd’hui survivantes. Nous avons tenté de marquer quels aperçus nouveaux Spencer avait indiqués en biologie ; aurait-on l’idée de lui demander maintenant les lois de l’embryologie ou de la transmission héréditaire ? Il en est de même pour les autres sciences ; en psychologie, par exemple, il faut lui savoir un grand gré d’avoir initié cette jeune discipline à la méthode qui, en la rattachant aux faits naturels, lui a marqué sa place parmi les autres sciences ; conçoit-on un jeune psychologue frais émoulu des laboratoires et des cliniques qui s’en irait chercher dans les Principes de Psychologie une explication de la mémoire ou de l’association des idées ? Il est même possible que, dans le bilan scientifique du XIXe siècle, le nom de Spencer se trouve oublié.

Seulement, l’évolution est aussi une attitude : elle est par excellence une attitude sociale ; elle implique une pratique. Cherchons donc, en manière de contre-épreuve, quelle a pu être comme méthode la valeur de l’évolution et notamment quels services elle a rendus, ou aurait pu rendre, à Spencer dans le domaine même où elle était née, et qui était le plus nouveau, la vie humaine.

Car, bien qu’il cheminât à travers les rues de Londres sans rien voir de ce qui s’y passait, Spencer resta toujours curieux des mœurs, des attitudes, des caractères, du sens des existences, comme on aime à dire aujourd’hui. L’effort d’abstraction qu’il avait fait pour rendre sa pensée philosophique n’en avait point altéré, la première curiosité morale. Beaucoup de ses écrits, simples Essais, peuvent être lus par tous, et le dernier ouvrage qu’il ait publié lui-même nous révèle avec quelle attention mélancolique il suivait la vie de son pays et de son temps.