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D’ailleurs, à défaut du reste, la destinée historique de la loi nouvelle aurait suffi à en révéler le sens ; l’évolution de Spencer a obtenu dans le monde philosophique et savant le même succès que le transformisme de Darwin, augmenté de celui qu’aurait dû recueillir l’adaptation de Lamarck. Elle eut tout de suite le prestige d’expliquer, semblait-il, les faits les plus à la mode d’alors, les plus embarrassans aussi, et qui étaient justement du domaine de la vie, tels que la transformation des faunes et des flores, l’apparition tardive d’espèces nouvelles, la présence dans certains organismes d’organes inutiles, l’hérédité, les premières difficultés à peine entrevues de l’embryologie. Et il est bien vrai aussi que, encore aujourd’hui, la biologie de Spencer reste, comme savoir particulier, la partie la plus solide et la plus estimable de son œuvre, — de l’aveu même des biologistes.

En résumé, les utilitaristes avaient légué à Spencer l’idée de progrès comme une suite de notre XVIIIe siècle où persistaient des élémens de croyance et d’optimisme instinctif : il a gardé l’une et éliminé les autres. Les théories de Lamarck ou de Darwin avaient dégagé la notion nouvelle et plus précise de variation, comme conséquence de la structure ou de l’adaptation : Spencer a combiné les deux hypothèses par sa théorie des correspondances que fixe l’hérédité. La physique mathématique lui avait livré le principe de la conservation de l’énergie : de cette loi de persistance il a tiré la formule même du changement et enveloppé par-là toute son inspiration vivante d’une armature mécanique. C’est ainsi que, de 1850 à 1859, la première conception de Spencer est allée, pour s’universaliser, en se dépouillant peu à peu de tous ses caractères vivans et qu’elle s’est vidée de son contenu initial. — Que vaut-elle sous cette forme théorique où nous l’avons vue parvenir avec l’Evolution ?


IV

D’abord la loi de l’évolution a entraîné chez Spencer une philosophie de l’évolution.

Outre les faits astronomiques, géologiques, biologiques, psychologiques, sociologiques, que résume la loi, il y a en effet comme donnée de l’expérience l’ensemble de ces faits, le monde,