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soumettre cette minorité socialiste à une oligarchie républicaine et bourgeoise.

Dans le Berry, le Nivernais et le Bourbonnais, la révolution n’a pas de capitale, mais elle est semée jusque dans les sillons des laboureurs. Les usines, moins juxtaposées, sont encore nombreuses, répandues à travers la campagne et mêlent les travaux et les désirs des ouvriers aux habitudes et aux passions des paysans. Ceux-ci n’ont pas l’âme patiente de leur race. Dans leur pays, plus qu’ailleurs, les grandes propriétés se sont maintenues, le plus souvent prises à bail par des fermiers, qui les sous-louent en détail aux habitans devenus des colons. Ce régime tient inconnus l’un à l’autre le maître et le cultivateur de la terre, prend à l’un et à l’autre, en faveur d’un tiers qui ne la possède ni ne la travaille, une part de ce qu’elle produit, et, tout en donnant moins au propriétaire lointain, excite dans l’âme des ouvriers agricoles, quand ils comparent leurs difficultés de vivre à la valeur des immenses domaines, une envie facile à transformer en désir de partage. Ouvrière et rurale, les deux populations voyaient ensemble, dans la différence de leurs conditions, l’égalité de leurs misères, et s’apprenaient l’une l’autre à détester davantage l’injustice universelle. Elles y étaient encore instruites, depuis la Révolution française, par plusieurs familles de bourgeoisie, transfuges de leur classe, et qui avaient employé le prestige de leur fortune, faite parfois de biens nationaux, et les ressources d’une intelligence cultivée à détruire dans le peuple la résignation à son sort. Dès le milieu du siècle, ces instituteurs héréditaires des haines sociales, les Massé, les Turigny, les Gambon, avaient assez d’influence pour envoyer, pour représentans aux Assemblées, Michel de Bourges tribun parfois superbe, Félix Pyat rhéteur sanguinaire et prudent, Gambon courageux et fanatique. Domptées sans être détruites par l’Empire, les passions s’étaient enhardies dès qu’il sembla moins fort. D’exil, Pyat gardait son influence à Vierzon ; en 1869, Bourges avait élu le meunier Girault ; le 24 avril 1870, Gambon avait à Argenais près Cosne donné exemple d’une révolte rurale et était poursuivi pour « attentat à main armée contre un gouvernement établi. » Le 4 septembre, les révolutionnaires, s’ils ne sont pas groupés dans une grande ville, sont répandus dans les petites cités de la province et jusque dans les villages. Dans le Cher, Girault apparaît dès le 5 septembre envoyé comme