Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/785

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les subalternes de la scélératesse comme Hébert[1], les manœuvres de la guillotine comme Lebon[2], les utopistes sanguinaires comme Babeuf[3]. Tous devenaient sacrés dès qu’ils avaient travaillé pour le peuple. Et le peuple qui purifiait ainsi ses serviteurs et leurs œuvres n’était pas toute la nation : ces historiens excluaient du peuple la noblesse, traitaient en adversaire la bourgeoisie, dédaignaient la multitude rurale. Leur respect était réservé aux foules urbaines, leur préférence au prolétariat des grandes villes, leur idolâtrie à la plèbe de la capitale. C’est cette plèbe seule qui avait été la sagesse dans ses caprices, le droit dans ses révoltes, la probité dans ses pillages, la clémence dans ses assassinats. La philosophie de cette école était la foi à l’infaillibilité de la canaille, et le parti tout entier, en célébrant avec une sorte de tendresse furieuse les anniversaires qui pesaient sur la mémoire de la France, semblait prendre à tâche de réhabiliter l’horrible dans l’histoire. Or ces hommages aux morts étaient des appels aux vivans. Paris était glorifié de ses attentats contre les pouvoirs afin qu’il exerçât encore sa puissance destructrice.

  1. Les Hébertistes, par Tridon, 1864, in-8o. « L’avènement des Hébertistes fut l’avènement de la science et de la raison sous la forme la plus énergique, la plus populaire, mais aussi sous la forme qui pouvait seule en assurer le triomphe définitif, » p. 16. « Ce qu’on veut flétrir du nom d’Hébertisme est la face la plus brillante de la Révolution. Obscurcie aujourd’hui par les insulteurs jurés, elle est destinée à resplendir toujours davantage. Certains docteurs espèrent que nous en sommes à jamais débarrassés. Les idées ne meurent pas lorsqu’elles sont la vie même de l’humanité, » p. 19. « Ce qui distingue ces âpres lutteurs de la cohorte des illustres, c’est qu’altérés de justice et de réparation, ils mettent sans hésiter la main à la besogne. » p. 14. « A leur voix, Bastille, monastères et parlemens s’écroulèrent, et dans Notre-Dame régénérée, sur l’autel des sacrifices, l’hérétique du moyen âge, l’amie de Voltaire et de Diderot, la Raison a trôné. » p. 16.
  2. Joseph Le Bon, par Emile Le Bon, 1861, in-8o. « Il en embrassa la cause (de la Révolution), et le fit dès lors résolument, avec l’abnégation personnelle, avec le dévouement qui caractérisaient tous ses actes, du moment qu’ils intéressaient le bien de ses semblables, » p. 2. « Quand la dictature était devenue la loi de la France, (il) avait sacrifié au patriotisme tous les autres sentimens de son cœur, il ne pouvait être accusé, s’il était coupable, que d’avoir, devant l’ennemi, subordonné sa raison elle-même à la raison publique, aux lois du temps et aux directions des chefs élus et applaudis chaque jour par la nation, » p. 91.
  3. Gracchus Babeuf de Buonarotti, réimprimé en 1868 par Ranc, avec préface. « C’est grâce aux Babouvistes que, pendant le premier Empire et la Restauration, la tradition révolutionnaire n’a pas été un seul instant interrompue, et que dès les premiers jours de 1830, le parti républicain s’est trouvé reconstitué. Ils ont affirmé, au prix de leur sang, la nécessité prochaine d’une constitution exclusivement fondée sur le travail et la justice. » Préface, XIX.