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lesquelles ils auraient dû choisir sous un régime plus précaire, et d’être opposans avec sécurité.

Les docteurs en révolution trouvaient d’ailleurs une auxiliaire imprévue dans la magistrature : sa vigilance servait leur cause en les empochant de professer trop haut les doctrines qui eussent effrayé le pays. L’indépendance absolue des opinions, l’émancipation du suffrage universel qui les transforme en votes, et l’avènement du régime républicain, qui soumet tout à la puissance élective, étaient leurs thèses préférées. Ils s’honoraient d’être ainsi les amis les plus sûrs, les plus vrais de la souveraineté populaire, et d’étendre sur toutes les institutions politiques l’unité d’un plan logique. Pour sauvegarder le pouvoir du peuple, il fallait supprimer les armées, qui protègent de loin en loin la nation contre l’étranger et sans cesse le gouvernement contre la nation, et, pour assurer la paix perpétuelle entre les races, confier la protection de l’ordre dans chacune à une milice formée de citoyens, par suite incapable d’opprimer la volonté générale. Pour sauvegarder les intérêts quotidiens du peuple, il fallait remplacer la magistrature inamovible et nommée par le gouvernement, donc deux fois tentée de préférer à la justice les ordres du pouvoir ou les préjugés de corps, et soumettre par le jury les citoyens à la justice des citoyens. Pour délivrer la conscience du peuple, il fallait combattre le catholicisme, l’invérifiable de ses dogmes, l’intolérance de ses préceptes, et la servitude d’esprit maintenue par la foi. C’était, disaient-ils, reprendre l’œuvre de la Révolution française. Mais de cette Révolution qu’ils proposaient déjà et comme un bloc, non à l’examen mais au culte de tous, eux choisissaient les actes, les dates et les héros. Comme leurs jugemens du passé obtenaient une immunité qu’on n’eût pas maintenue à leurs condamnations du présent, ils faisaient de la politique par l’histoire et avaient commencé leur propagande par une suite d’ouvrages sur leurs pères de 1792 et de 1793. Ces pères n’étaient pas les hommes de liberté, mais de tyrannie et de sang. Les audaces vieillies de Lamartine, qui, par l’apothéose des Girondins avait du moins condamné la Terreur, ne suffisaient plus : on amnistiait la Terreur elle-même. On plaçait sur des autels, comme les saints laïques de la patrie, non seulement ceux qui, fût-ce dans le crime, avaient été les premiers, Danton[1],

  1. Danton, par le docteur Robinet, in-8o, 1865. « Excellent fils, bon père et bon époux, maître bienfaisant, ami et compatriote dévoué, citoyen intègre. » p. 35… « partout, Danton se montre avec ce caractère d’émancipation tolérante, d’initiative organique et de sollicitude conservatrice. » Introduction p. X. « Toutes les imputations d’immoralité, de vénalité et de dilapidation qui ont été portées contre lui. sont démenties par les faits. » Id., p. XX.