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navires à travers les détroits a été maintenue. La Russie ne peut pas faire passer des vaisseaux de guerre à travers le Bosphore et les Dardanelles. Cette règle est très simple lorsqu’on a affaire à des navires d’un caractère parfaitement tranché, commercial ou militaire : elle l’est moins avec les navires hermaphrodites de la flotte volontaire. Le Pétersbourg et le Smolensk ont traversé les détroits comme vaisseaux de commerce, avec le pavillon commercial, et c’est ensuite qu’ils se sont transformés en instrumens de combat. Est-ce admissible ? Naturellement on ne le croit pas en Angleterre, et il faut bien reconnaître qu’il y a là une question épineuse. Les journaux anglais formulent un dilemme très serré. Si, disent-ils, le Pétersbourg et le Smolensk sont des navires de guerre, ils n’avaient pas le droit de traverser les Dardanelles ; et s’ils sont des vaisseaux de commerce, ils n’avaient pas celui d’arrêter le Malacca. Certains journaux n’ont pas hésité à les traiter de corsaires, ou même de pirates, ce qui montre à quel point les esprits sont montés, ou plutôt étaient montés, car la tempête est aujourd’hui apaisée. Le gouvernement russe, comme nous l’avons dit, a proposé tout de suite une solution honorable pour les deux parties, en quoi il a rendu un véritable service à la paix du monde. Mais n’est-ce pas trop déjà que nous puissions nous servir de pareilles expressions, et que la paix du monde ait pu être mise en cause par un incident comme celui du Malacca. A quoi tient-elle donc ?

Le gouvernement russe n’avait eu aucune des mauvaises intentions qu’on lui a prêtées. Toutes réserves faites sur la régularité de la situation des navires de sa flotte volontaire lorsqu’ils sortent de la Mer-Noire avec une qualité et qu’ils apparaissent dans la Mer-Rouge avec une autre, c’est le droit d’un belligérant de visiter les navires de commerce neutres pour s’assurer qu’ils ne portent pas de la contrebande de guerre, d’arrêter et de saisir les navires suspects, et de soumettre leur cas au tribunal des prises de sa propre nationalité. Il ferait beau voir qu’on le contestât à l’Angleterre ! Elle aussi a commis des erreurs ; il s’en commet dans toutes les guerres ; le tribunal des prises est la juridiction compétente en pareil cas. Cependant la Russie n’a pas voulu pousser les choses à bout. Elle a fait savoir que le Malacca, qui avait déjà traversé le canal de Suez sous le pavillon russe, et qui était arrivé à Port-Saïd lorsque le conflit a pris un caractère aigu, serait conduit dans un port neutre de la Méditerranée, et que sa cargaison serait examinée en présence du consul britannique. Bientôt après, le Malacca a été relâche, et, tenant compte des contestations qui s’étaient élevées sur les vaisseaux de sa flotte volontaire,