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La Russie vient de donner un grand exemple de modération et de prudence. L’incident du Malacca, qui a produit une si vive émotion en Angleterre, émotion qui s’est rapidement communiquée a tout le monde parce qu’on a craint la suite, a été réglé et arrangé en peu de jours à la satisfaction générale. On connaît les faits. Deux navires russes qui croisaient dans la Mer-Rouge, le Pétersbourg et le Smolensk, avaient visité et saisi un paquebot anglais sur lequel ils avaient cru découvrir de la contrebande de guerre. Le Malacca portait, en effet, une quantité considérable de matières explosives, et il n’est pas douteux qu’une pareille cargaison aurait été de la contrebande de guerre si elle avait été destinée aux Japonais ; mais elle était destinée à la flotte que le gouvernement anglais entretient dans les mers de l’Extrême-Orient.

Comment les livres de bord du Malacca ne faisaient-ils pas foi de cette destination ; ou, s’ils en faisaient foi, comment les officiers russes qui ont présidé à la visite ne s’en sont-ils pas aperçus tout de suite, c’est ce qu’il est difficile de dire. Quoi qu’il en soit, le gouvernement anglais ayant déclaré officiellement que le chargement du Malacca était pour lui, l’affaire était réglée : la parole d’un gouvernement ne saurait être mise en doute. Il restait seulement à savoir si, à côté des ballots destinés aux autorités anglaises de Hong-Kong, il n’y en avait pas d’autres. Mais des navires anglais arrêtés, visités, saisis en pleine mer, on sait combien l’opinion britannique est susceptible pour les faits de ce genre ! Elle l’est quelquefois sans mesure et toujours avec exaltation. Sur le premier moment, on n’a pas mis en doute, de l’autre côté de la Manche, qu’il y avait eu, de la part des officiers russes, une intention directement hostile dans l’acte qu’ils avaient accompli : le Malacca avait été traité comme il l’a été parce qu’il portait le pavillon britannique. Un autre motif encore a contribué à l’irritation, ou plutôt à la violence à laquelle les esprits se sont laissé entraîner. Les navires russes qui ont opéré dans la Mer-Rouge sont d’un caractère particulier. Ils appartiennent à cette flotte volontaire qui, constituée après la guerre de 1877-1878, se compose de navires à deux fins, paquebots de commerce pendant la paix, vaisseaux de guerre pendant la guerre. Ce sont là des manières d’être parfaitement légitimes, et personne en Angleterre ne le conteste. Mais on connaît la situation particulière de la Mer-Noire, telle qu’elle résulte de divers traités ou arrangemens internationaux. Le traité de Paris a interdit aux Russes d’y entretenir des navires de guerre, et, si cette interdiction a été levée, en 1870, à la conférence de Londres, celle qui s’applique au passage de ces mêmes