Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/673

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas prêt et à laquelle il n’a pas intérêt. Mais quelle qu’en soit l’issue, cette guerre, que les puissances européennes se sont montrées impuissantes à prévenir et que peut-être certaines d’entre elles ont désirée, précipitera la transformation, maintenant inévitable, de la vieille Chine en un État d’aspect moderne, outillé et armé comme les nations occidentales. Quel que soit le vainqueur, que les batailles actuelles ne soient que le prélude d’une longue série de conflits ou qu’au contraire l’expérience qu’ils viennent de faire de leur courage et de leur valeur réciproques aboutisse finalement à une paix honorable et ensuite à cette bonne entente entre les deux rivaux que, depuis longtemps, les Japonais les plus éclairés et, depuis les derniers événemens, bon nombre de Russes prévoyans, appellent de leurs vœux comme la seule solution possible d’une rivalité qui épuise sans profit les forces vives des deux pays, le résultat de la lutte actuelle sera de fortifier en Chine le parti qui pousse à des réformes prudentes et à la prompte adoption de ce que les civilisations occidentales ont d’assimilable au génie chinois. Tchang-Tche-Tong, le très intelligent et très avisé vice-roi du Hou-Koang, est le chef et l’inspirateur de ce parti à la fois conservateur et réformiste qui voit s’accroître tous les jours le nombre de ses adhérons ; c’est lui qui, dans ses curieuses Exhortations à l’étude, a tracé le programme de cette politique nouvelle[1]. « Les conservateurs, écrit-il, ressemblent à ceux qui, par crainte d’avoir la gorge obstruée par un os, ne veulent plus rien manger ; et les progressistes (il veut désigner les réformateurs de l’école de Kang-Yu-Wei) sont comme des brebis placées entre plusieurs chemins et qui, fatalement, s’égarent. » Conservateur pour tout ce qui touche à l’âme chinoise, à la morale et aux « trois relations » sociales, Tchang-Tche-Tong estime que, sur ce point, son pays n’a rien à apprendre de l’Occident et qu’il est au contraire fort en avance sur lui. Mais si « la science chinoise est la science du dedans, la science européenne est la science du dehors, » et il n’est pas contraire à la morale ni à la doctrine de Confucius d’adopter les méthodes et les instrumens étrangers, pourvu que l’on ne néglige pas la connaissance essentielle des « cinq canoniques et des quatre classiques. » Il faut réorganiser l’armée,

  1. Tchang-Tche-Tong, vice-roi du Hou-Koang : Kien-Hio Pien. Exhortations à l’étude. Traduit du chinois par Jérôme Tobar. — Shanghai. Imprimerie de la Presse orientale, 1898.