Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/671

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

programme, la pratique de la politique d’entente et de collaboration avec la dynastie. Le développement économique de l’Extrême-Orient, le trafic des chemins de fer, les affaires de la Banque russo-chinoise, les négociations avec le Dalaï-lama et le progrès de l’influence russe au Thibet et en Mongolie marchaient à souhait, et ces succès cachaient aux ministres du Tsar le péril qui grossissait et la nécessité de se prémunir par une forte organisation militaire. Les affaires de l’Extrême-Orient étaient alors sous la haute influence du ministre des Finances, M. Witte ; à ses attributions, il avait ajouté le département des chemins de fer et celui de l’Extrême-Orient, qui échappait au ministre clos Affaires étrangères. Economiste et financier, M. Witte pratiquait en Asie une politique qui tendait avant tout à favoriser l’essor économique de l’Empire russe dans ces lointaines régions ; le succès de ses efforts l’empêchait de voir le danger japonais ; les Russes d’ailleurs, malgré les avertissemens de la guerre de 1894 et de celle de 1900, ne pouvaient s’accoutumer à l’idée que le Japon fût devenu une puissance capable de se mesurer avec eux. Leurs voyages successifs en Extrême-Orient ne purent détromper ni M. Witte, ni le ministre de la Guerre, le général Kouropatkine lui-même. Cependant l’imminence du péril, l’illogisme flagrant d’une politique envahissante qui gardait la Mandchourie tout en ne prenant pas les précautions nécessaires pour la défendre, ouvrirent les yeux à quelques hommes, parmi lesquels l’amiral Alexeief et M. Bezobrazof ; ils convainquirent le Tsar de la nécessité de donner à ces provinces si lointaines et si menacées une organisation forte, un chef indépendant et responsable et toutes les ressources militaires et navales en rapport avec les grands intérêts économiques de l’Empire dans ces régions et avec le péril que le Japon, allié de l’Angleterre, pouvait leur faire courir. La nomination d’un chef, qui eût le même titre que le vice-roi des Indes et qui portât l’épée, fut décidée. Le 30 juillet 1903, un ukase conféra ce titre et ces fonctions à l’amiral Alexeief. Quinze jours après M. Witte quittait le ministère des Finances. La politique russe, en même temps que d’hommes, allait changer de maximes : les conséquences dernières de l’occupation de Port-Arthur apparaissaient ; elles entraînaient fatalement la Russie vers une politique militaire. Malheureusement le changement ne fut ni assez rapide ni assez complet : la nomination de l’amiral Alexeief comme vice-roi était